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Notre regard

L’examen médical obligatoire dénoncé par les spécialistes

Dans le projet de révision examiné actuellement au Conseil national, un examen médical a été introduit en phase préparatoire de la procédure d’asile. Objectif: accélérer les procédures. L’article 26a oblige les demandeurs d’asile à «faire valoir toute atteinte à leur santé dont ils avaient connaissance au moment du dépôt de leur demande et qui pourrait s’avérer déterminante pour la procédure d’asile et de renvoi». S’il invoque des problèmes de santé après l’audition, qui doit avoir lieu dans les trois semaines, le demandeur d’asile devra les «prouver» et l’autorité «pourra» les prendre en compte. Face aux critiques, le côté définitif de la preuve a été atténué dans un langage très alambiqué par le Conseil des Etats. Or, les mandataires le savent: une fois un dossier lancé dans une direction, combien de recours –et de temps perdu- pour faire valoir un droit. Ci-dessous la position de l’association Appartenances-Genève, opposée à cette disposition. (réd.)

Le demandeur d’asile en situation d’arrivée dans le pays d’accueil se trouve la plupart du temps dans une situation d’urgence où les mécanismes de survie font barrage à une investigation sérieuse d’un état psychopathologique complet. Il doit faire face à une adaptation importante et présente donc une vulnérabilité exceptionnelle durant laquelle un examen approfondi peut s’avérer impropre voire impossible. En effet, les personnes qui nous arrivent ont souvent vécu une série d’expériences traumatiques au niveau individuel et/ou collectif (persécution politique, ethnique ou religieuse, détention, torture, séparations familiales, ruptures, disparition de proches, deuils, pertes matérielles, éclatement de la communauté, séjour dans des camps de réfugiés, voyage long et cher pour arriver en Europe…).

Arrivées ici, espérant trouver accueil et refuge,  elles subissent des interrogatoires, doivent faire des dépositions, sont traitées avec suspicion, logées dans des centres de détention,  et leur parole est mise en doute par les autorités.

Cet état (réalité psychique) les empêche évidemment de formuler un récit cohérent et détaillé des exactions subies. Dans ce contexte, la prise en charge se doit d’être avant tout un accueil et un accompagnement psychologique et il ne peut en aucun cas s’agir d’établir un récit de(s) l’événement(s) traumatique(s) (réalité historique). Il s’avère cliniquement inutile voire retraumatisant de vouloir parler à ce moment-là –autrement dit, au premier stade de la procédure d’asile- du vécu d’un viol, d’une violence subie ou de torture, au risque de faire revivre l’effraction subie à la victime.
Les personnes les plus traumatisées présentent rarement une symptomatologie bien définie, correspondant aux classifications habituelles des troubles mentaux, mais plutôt des tableaux de douleurs diffuses (maux de tête, du rachis, fatigue, insomnies…), peu spécifiques d’un état de stress post-traumatique pour une personne non rompue à cet exercice évaluatif. Pourquoi ce caractère « indifférencié »?

  • Par une mise à distance des émotions potentiellement déstructurantes, les victimes peuvent mobiliser les ressources nécessaires à une survie physique et psychique avant l’arrivée en Suisse et dans les trois semaines après l’arrivée ou jusqu’à ce que leur situation soit vécue comme suffisamment stable et sécurisante pour risquer la « décongélation » (1).
  • Parce que plusieurs manières « culturellement codées » permettent d’exprimer une souffrance psychologique.

Dépistage précoce impossible

Ainsi la parole sur le vécu et les faits traumatiques ne se libère la plupart du temps qu’après une longue période d’alliance et d’élaboration avec le thérapeute. La peur, l’évitement, la honte, l’Omerta familiale voire des risques de répudiation familiale peuvent également constituer d’importants obstacles à leur expression.
Ce n’est souvent que lorsque le lien de confiance thérapeutique est établi, et que la personne a retrouvé un peu de sécurité au sujet de son avenir qu’elle peut se permettre d’aborder cet épisode douloureux qui a détruit à jamais ce qu’elle était auparavant.

Une récente étude menée dans le cadre du Département de Psychiatrie de l’Hôpital Universitaire de Zurich (2), montre bien cette complexité dans la manifestation des souffrances psychiques: elle révèle qu’une proportion importante de personnes déboutées souffrent de problèmes psychiatriques persistants, 50% présentant un état de stress post-traumatique, soit une proportion égale aux cas admis à l’asile. D’autres études 3 parviennent aux mêmes conclusions.

Risques d’exclusion

Le dépistage précoce de l’état de stress post-traumatique n’est, en l’état des connaissances scientifiques, pas possible. Ces situations cliniques peuvent souvent passer inaperçues lors d’un examen prématuré au moment de l’accueil en Suisse.
En conclusion, de notre point de cliniciens, les dispositions pour accélérer les jugements sur une éventuelle psychopathologie présentée par les requérants d’asile répondent à une logique administrative d’efficacité dans le traitement des dossiers, mais ne sont souvent pas possible à réaliser, le fonctionnement psychologique pouvant présenter un autre rythme de dévoilement, plus lent et sinueux. Ainsi nous pensons que la nouvelle modification de la loi sur les demandes d’asile comporte des risques d’exclusion de situations relevant légitimement de l’asile et porte atteinte aux droits et à la protection des demandeurs d’asile.

Appartenance-Genève


Notes:

(1) « Deuils collectifs et création sociale » J-C Métraux, édition la Dispute, 2004. Dans sa théorie des «deuils congelés», J.C. Métraux analyse les conditions psychologiques nécessaires pour que ce qu’il dénomme processus de «décongélation» puisse enfin s’amorcer.

(2) «Mental health of failed asylum seekers as compared with pending and temporarily accepted asylum seekers». Julia Mueller, Martina Schmidt, Andrea Staeheli, Thomas Maier, Department of Psychiatry, University Hospital Zurich. European Journal of Public Health, 2010 ; Vol. 21, No. 2, 184–189.

(3) «The development and maintenance of post-traumatic stress disorder (PTSD) in civilian adult survivors of war» Trauma and torture: a review. Johnson H, Thompson A. Clin PsycholRev 2008; 28:36–47.