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Notre regard

Jurisprudence | Procédures sommaires sanctionnées par Strasbourg

La Suisse va-t-elle se retrouver en porte-à-faux avec les juridictions internationales? Alors que la Commission des institutions politiques du Conseil national discute de propositions UDC visant à supprimer l’effet suspensif des recours contre certaines décisions, rendant le recours ineffectif –notamment pour les décisions de non-entrée en matière et de réexamen – les instances internationales viennent de sanctionner une nouvelle fois des pratiques étatiques jugées incompatibles avec le droit à une procédure équitable. Procédures sommaires, délais de recours raccourcis, la révision de la loi sur l’asile en cours entend pourtant les généraliser.

Condamnation des «procédures prioritaires» françaises en 2012

En février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a examiné la «procédure prioritaire» française, qui se rapproche de la procédure suisse de non-entrée en matière . Selon les chiffres officiels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), les demandes en «procédure prioritaire» représentent 24% de l’ensemble des demandes d’asile ; les premières demandes constituent 62,5% des procédures prioritaires.

Le 16 janvier 2009, I.M., étudiant soudanais, a été placé en rétention en vue de son éloignement après s’être vu notifié un arrêté de reconduite à la frontière. Il a été informé le même jour qu’il pouvait demander l’asile, mais dans le délai légal réduit à cinq jours de la «procédure prioritaire». Sans pouvoir réunir les pièces nécessaires, il a déposé en catastrophe une demande d’asile, qui a été automatiquement enregistrée en «procédure prioritaire», car survenant après une décision de renvoi. Il n’a ensuite été entendu par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) que pendant un entretien d’une demi-heure, avant de recevoir un rejet d’asile. En procédure prioritaire, le délai de recours a aussi été limité à quarante-huit heures au lieu du délai ordinaire de deux mois. I.M. n’a pu recourir que par le biais d’une lettre rédigée en arabe ; un avocat commis d’office, rencontré brièvement avant l’audience devant le Tribunal, en a exposé le contenu oralement, mais sans pouvoir rajouter d’élément de preuve. Au final, le recours d’I.M. a été rejeté.

La CourEDH a constaté que, concrètement, la possibilité laissée à I.M. de défendre sa demande d’asile a été limitée par son classement automatique en procédure prioritaire, et par la brièveté des délais de recours. Elle a critiqué aussi les difficultés matérielles et procédurales d’apporter des preuves alors qu’il était privé de liberté et qu’il s’agissait d’une première demande d’asile. Le verdict: faute d’avoir offert à I.M. une procédure effective lui permettant de faire valoir les dangers en cas de retour au Soudan, la France a violé l’article 13 CEDH (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3.

Condamnation de la Suisse en 2007

Cette condamnation en rappelle une autre intervenue fin 2007, où le Comité des Nations Unies contre la torture (CAT) critiquait les clauses suisses de non-entrée en matière. Il s’agissait du cas de Jean Patrick Iya, journaliste, membre d’un parti d’opposition et activiste des droits humains, originaire de la République démocratique du Congo. Il a cherché asile en Suisse le 29 juin 2004 pour avoir été persécuté à plusieurs reprises, tant sous le régime de Mobutu que sous celui de Kabila. Le 9 août 2004, l’Office fédéral des migrations (ODM) avait prononcé la non-entrée en matière, pour omission de remettre des papiers d’identité dans le délai légal de 48 heures depuis le dépôt de sa demande, sans motif excusable.
Cette décision avait été confirmée par la Commission de recours en matière d’asile, qui avait refusé de tenir compte des documents entre-temps versés au dossier, au motif que leur production était tardive. Une demande de révision accompagnée d’autres documents concernant l’identité avait ensuite aussi été rejetée au motif de la tardiveté non justifiée du dépôt de ces pièces.

Pour le CAT, il était inadmissible que les autorités suisses n’aient jamais examiné le fond de l’affaire et qu’elles se soient bornées à rejeter la demande d’asile, le recours et les demandes de révision subséquentes pour des raisons purement procédurales. Le message du CAT était clair: la procédure de non-entrée en matière ne garantissait aucune protection pour les personnes réfugiées, ni un traitement conforme aux droits humains.

Les procédures sommaires n’offrent aucune garantie

Après examen du CAT ou de la CourEDH, la conclusion est claire: une protection effective des droits de l’homme s’accommode mal d’une application rigide et automatique de présomptions, qui sont typiques des procédures sommaires.
Pour les juridictions internationales, garantir le respect des droits humains rime avec examen sérieux au cas par cas. Une procédure qui ne permet pas un examen rigoureux du fond des demandes d’asile risque de mettre en danger des personnes susceptibles d’être soumises à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants. Une vérité urgente à rappeler à toutes celles et tous ceux qui ne parlent que d’accélération de la procédure ou qui prétendent débattre de ces questions «sans tabou»!

Christophe Tafelmacher