Aller au contenu
Notre regard

Editorial | Ça suffit!

En Suisse, on l’appelle admission provisoire. En Europe, protection subsidiaire. Elle vise à protéger les personnes d’un renvoi dont l’exécution serait «illicite» ou qualifié d’«inexigible» pour les risques vitaux qu’il comporte: guerre, violence «aveugle», risque de peine de mort, d’exécution, de torture…  Le besoin de protection est donc reconnu. Pas le statut de réfugié. Cherchez l’erreur.

La Convention sur les réfugiés de 1951, imprégnée de son époque, n’avait pas prévu la nature des conflits d’aujourd’hui. Plutôt qu’élargir la définition du réfugié, les Etats ont créé ce statut subsidiaire. Un statut qui les dispense des contraintes de la Convention, notamment les droits économiques, sociaux et culturels garantis aux réfugiés statutaires.

Aujourd’hui, l’UE s’apprête à améliorer les conditions de vie de cette population à protéger, qui égale en nombre les réfugiés reconnus (1). Pourquoi? Parce qu’elle reconnaît s’être fourvoyée dans son hypothèse de départ: à savoir la nature temporaire du séjour, donc du statut subsidiaire. Limite temporelle qui justifiait un niveau de droits inférieurs à ceux octroyés aux réfugiés. L’idée aujourd’hui consiste donc à leur donner les clés de l’intégration, soit davantage de droits.

Au Parlement suisse, l’ambiance est toute autre. Oubliés le sursaut de 2005 et la reconnaissance de la nécessité d’intégrer les «permis F». Restreindre encore l’accès au statut de réfugié, pousser un maximum de monde à l’admission provisoire puis démanteler les conditions liées à ce statut,  voilà à quoi s’est amusée la Commission des institutions politiques du Conseil national (CIP) début mai, dans sa mise en pièce de la loi sur l’asile.

Plus de précarisation, donc,  et pour l’UDC, «c’est une bonne révision» (2). C’est dire! Quasi toutes les propositions UDC ont été acceptées. Même l’introduction d’une sorte d’«examen préliminaire» éliminatoire, fait par un «tiers» -qui, le vigile?- avant la décision éliminatoire qu’est déjà la non-entrée en matière et qui touche la moitié des demandes! (3)

L’idée, hallucinante, du PLR Philip Müller de mettre tout le monde à l’aide d’urgence a été refusée de justesse (mais acceptée au plénum le 14 juin!, ndlr). On les imagine, les Blocher, Müller, Brand et consorts, qui s’amusent à qui sortira l’idée la plus tordue. Mesures qu’ils affublent de la nouvelle rhétorique à la mode: «accélération des procédures».

«Tout ceci ne servira à rien», a reconnu dans la presse le PDC Gerhard Pfister, vice-président de la CIP. On voit mal, en effet, dans ces mesures, ce qui peut être accéléré.  Pendant que ces élus s’amusent aux frais du contribuable, les vrais problèmes que rencontre le pays –chômage, crise économique, insécurité matérielle- passent à la trappe.

Pire. En poussant toujours davantage de monde dans la marge –l’aide d’urgence est une fabrique à clandestins –, en mettant en place des freins à l’intégration des personnes admises provisoirement, ils sont en train de gangréner notre pays. Fin 2011, 23’000 personnes vivaient en Suisse avec un permis F, 27’000 étaient réfugiées statutaires, 17’000 en procédure. Ramenés à la population du pays, cela représente 0,84% de la population. Est-ce cela le problème de la Suisse? Il est plus que jamais urgent de faire entendre la voix du refus de l’indigne, celle d’une Suisse ouverte et progressiste. Soyons le plus nombreux possible, le 23 juin, à Berne, lors de la manifestation nationale organisée par les organisations de défense des migrant-e-s.

Sophie Malka


Notes:

(1) Refonte de la directive qualification 2011/95/CE, adoptée le 13 décembre 2011.

(2) Conférence de presse de la CIP- CN du 11 mai 2012.

(3) Pour l’analyse des mesures, lire: http://asile.ch/?p=4455 et Les 10 mesures les plus problématiques