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La Liberté | L’aide au développement encouragerait l’immigration

COOPÉRATION • L’aide économique à un pays tiers induit une «bosse de la migration», selon une étude. Berne risque d’avoir tout faux sur les deux tableaux |

Publié dans La Liberté et Le Courrier, vendredi 13 juillet

Suffit-il d’augmenter l’aide au développement à un pays pour éviter que ses ressortissants choisissent d’émigrer en Suisse? Dans une étude publiée mercredi, le Forum de politique étrangère (Foraus) répond par la négative, affirmant au contraire que croissance économique et émigration vont souvent de pair. Son papier de discussion tord le cou à une idée toujours plus répandue dans le monde politique.

Suffit-il d’augmenter l’aide au développement à un pays pour éviter que ses ressortissants choisissent d’émigrer en Suisse? Dans une étude publiée mercredi, le Forum de politique étrangère (Foraus) répond par la négative, affirmant au contraire que croissance économique et émigration vont souvent de pair. Son papier de discussion tord le cou à une idée toujours plus répandue dans le monde politique.
«Nombre de politiciens suisses, et dans une certaine mesure l’administration fédérale,  voient dans l’aide au développement un outil efficace de réduction du nombre d’immigrants», constate le Foraus. A l’en croire, rien n’est plus faux. Les travaux scientifiques sur le sujet démontrent à l’inverse que l’augmentation du revenu disponible crée de nouvelles possibilités. «Ce n’est pas la misère insupportable qui pousse à l’émigration, mais un revenu économique suffisant pour prendre ce risque et en supporter les coûts», communique le groupe de réflexion.

«Bosse de la migration»
Ce phénomène de «bosse de la migration» a beau être connu, il n’a encore aucun écho dans le débat politique. «Au XIXe siècle, les Suisses ont fait la même chose, explique Stefan Schlegel, un des auteurs de l’étude. Dès qu’ils ont eu accès à l’information, à des moyens de transport, ils ont quitté les vallées de montagne pour émigrer aux Etats-Unis ou dans différents pays d’Europe.»
De nos jours, les migrants proviennent le plus souvent de pays qui connaissent un boom économique. «Après la Turquie, on parle aujourd’hui beaucoup du Nigeria.» Très éloigné de «L’Emigrant» campé par Charlot, le candidat à l’asile est fréquemment issu des nouvelles classes moyennes de pays émergents. De plus, relève Stefan Schlegel, certains pays – le Maroc avec la France, le Mexique vis-à-vis des Etats-Unis – visent à favoriser ces flux migratoires. Devises rapatriées au pays ou échange de savoir-faire constituent les buts inavoués d’une telle politique de diaspora.

De faux espoirs
«En plus des décideurs politiques, l’administration fédérale semble se promettre des avantages en termes de communication en soutenant l’idée que le développement réduit l’immigration», observe le Foraus. Cette manière de présenter les choses peut susciter de faux espoirs. De plus, le risque existe que l’aide au développement ne soit pas utilisée pour réduire la pauvreté (son but premier), mais pour réguler les flux migratoires.
L’étude égratigne au passage la Direction pour le développement et la coopération (DDC), qui utilise une bonne part des 2 milliards de francs que la Suisse a consacrés en 2011 à l’aide au développement, et dont les moyens ne seraient «pas employés à bon escient» s’ils devaient être engagés en vertu de leur prétendue utilité migratoire. A titre d’exemple, Stefan Schlegel cite les programmes lancés en Tunisie après la chute du régime Ben Ali, avec l’objectif annoncé d’enrayer la migration illicite.
Inscrire l’aide au Maghreb dans une politique migratoire: c’était aussi le but d’une motion du groupe libéral-radical, adoptée en septembre 2011 par le Conseil national.
Réagissant hier sur l’étude du Foraus, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), dont dépend la DDC, souligne que le but primordial de l’aide au développement est la réduction de la pauvreté sur place, pas d’empêcher l’immigration. «C’est la Constitution qui fixe cette exigence», renchérit Carlo Sommaruga, vice-président de la commission de politique extérieure du National. «Vouloir instrumentaliser cette aide à d’autres fins pose problème», selon le socialiste genevois. Si une amélioration des conditions de vie réduit l’émigration dans certains pays, le progrès économique et social l’encourage dans d’autres, ajoute le DFAE.

Répression dénoncée
Le Foraus s’attaque aussi à l’idée que la répression peut diminuer l’immigration. Stefan Schlegel donne pour exemples les partenariats migratoires avec la Tunisie ou le Nigeria – qui contiennent des aspects répressifs tels les accords sur les renvois et la réadmission – ainsi que la volonté du Conseil national d’élargir l’aide d’urgence à tous les requérants.
Estimant qu’une augmentation de la migration est inéluctable, le groupe de réflexion propose aux décideurs suisses d’accepter ce scénario, et même d’en tirer partie par le biais d’une immigration contrôlée et non plus irrégulière. «En termes d’impôts, de financement des assurances sociales ou de lutte contre le dumping salarial, chacun serait gagnant», note Stefan Schlegel.

Bertrand Fischer