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Notre regard

« ORS, dégage! »: La gestion de l’asile par des firmes privées en question

«Nous ne sommes pas des rats, nous sommes des hommes. Cessez de faire du profit sur notre dos!» Jean-Didier, activiste du mouvement Droit de rester et sans papiers, n’a pas mâché ses mots lors de la manifestation contre ORS SA qui a réuni 200 personnes, le 5 mai dernier, devant un bunker géré en ville de Berne par l’entreprise à but lucratif . Le lieu est symbolique: 160 personnes y sont hébergées. Une  partie a rejoint la manifestation. Ces hommes, femmes et enfants, vivent entassés dans six dortoirs. Ils sont privés d’accès à une cuisine et sont surveillés par l’entreprise Securitas. Alors qu’ils sont en procédure d’asile et auraient droit à l’aide sociale (1), ils sont traités comme des déboutés. La législation sur l’asile n’est ici pas seule en cause. La gestion et l’encadrement des demandeurs d’asile sont subordonnés aux objectifs de profit d’ORS. Mais à quel prix?

A Fribourg, ORS a fait son apparition en 2008, avec l’attribution du mandat par les autorités cantonales. L’offre de l’entreprise était de 800’000 francs moins chère à celle de la Croix-Rouge Fribourgeoise (CRF) qui encadrait depuis 24 ans les demandeurs d’asile (2). 55 collaborateurs de la CRF ont alors été licenciés collectivement. Beaucoup d’entre eux n’auront d’autre choix que de postuler chez ORS et subiront une baisse de salaire effective (3).

La présence d’ORS a vite suscité différentes mobilisations dans le canton. On rappellera ici une action de «dérangement» du Collectif autonome des immigrés (CAFri) lors d’une journée «portes ouvertes» d’ORS. La firme souhaitait montrer au public un centre où tout se passait au mieux. Ses «locataires» avaient été priés de quitter les lieux le matin même. L’action de CAFri leur a rendu un visage et… la parole. Les visiteurs ont ainsi pu juger par eux-mêmes.

Suite à cette action, ORS interdira à CAFri l’entrée du centre. Le CCSI/SOS Racisme Fribourg (CCSI), également critique à l’égard d’ORS, sera remis à l’ordre par le canton au risque de perdre ses subventions.

En septembre 2011, les pratiques d’ORS font à nouveau des remous. Au centre de la Poya, 24 habitants signent une lettre ouverte à l’intention des autorités cantonales. Ils revendiquent «l’ouverture de leurs dortoirs» durant la journée, «des mesures contre un garde» dont le comportement était méprisant à leur égard ainsi que « le droit de se réunir» avec des représentants du CCSI à l’intérieur du camp.

Leurs demandes seront en partie entendues: ORS va de nouveau ouvrir les dortoirs durant la journée et le garde modifiera son comportement. En revanche, les représentants du CCSI ont toujours l’interdiction d’entrer à la Poya. Pourtant, en tant que structure de conseil juridique et social, le CCSI est et a été plusieurs fois contraint de défendre les droits des habitants des centres gérés par ORS:

  1. Malgré l’obligation d’assurer découlant de la LAMal, ORS n’inscrit pas systématiquement les résidents aux caisses maladie. Certaines personnes se sont vues refuser ou retarder l’accès aux soins.
  2. ORS a exclu un demandeur d’asile de l’aide d’urgence pendant plusieurs jours alors que cela représente un droit fondamental selon art. 12 de la Constitution.
  3. En décembre 2011, ORS a refusé un studio à un demandeur d’asile souffrant d’une schizophrénie paranoïaque. Durant plus de deux semaines, ORS a laissé cet homme dormir dans la rue et le froid avant qu’il soit pris en charge dans un centre psychiatrique.

Marchand de misère

Créée en 1992, ORS appartient à Invasion, une société private-equity située dans le paradis fiscal de Zoug. Aujourd’hui, ORS gère tous les centres de la Confédération ainsi que 50 autres structures d’hébergement cantonales et communales. Pour l’Etat, ORS représente un partenaire fiable, réputé pour sa loyauté totale à l’égard des pratiques répressives qui découlent de la loi en vigueur. Comparé à d’autres organisations, ORS collabore de manière inconditionnelle avec les services étatiques et avec la police.

Lors de mises aux concours de contrats de prestations, fondées essentiellement sur des critères économiques, des organisations caritatives risquent de disparaître comme cela a été le cas pour la CRF à Fribourg. Dans ce contexte, ORS crée une pression généralisée qui favorise des pratiques de plus en plus dures.

Le chiffre d’affaires d’ORS a explosé ces dernières années. En 1998 ORS déclarait encore un chiffre d’affaires de 20 millions de francs. En 2010, il s’élève à 55 millions de francs (4). Pour reverser de l’argent à ses actionnaires, ORS doit générer du profit. Sur le dos des demandeurs d’asile? Contrairement à des budgets étatiques, la privatisation empêche un réel contrôle démocratique des comptes. Ainsi, la nature des profits est occultée.

Une enquête de la Wochenzeitung a néanmoins illustré comment ce profit peut être généré. La commune zurichoise de Weiach loue pour environ 18’000 frs par an une vieille ferme, ORS facture pour cette même ferme 7000 frs par mois, soit 84 ’000 frs annuels aux demandeurs d’asile, puisqu’elle retient, sur le forfait mensuel de 1493.95 francs par demandeur d’asile 700 francs pour le logement. Sont également déduits 371,95 francs pour la caisse maladie et 22 francs pour les charges, laissant 400 frs par mois aux demandeurs d’asile pour vivre. Une employée passe deux à trois fois par mois. Sinon, aucun encadrement (5).

Lorsqu’elle est critiquée, ORS dément faire du profit en réduisant des prestations pour les requérants, en économisant sur des loyers ou en engageant du personnel précaire ou peu qualifié. Selon ORS, leur profit se fait «exclusivement à travers un contrôle professionnel des coûts, une optimisation permanente des procédures et une administration efficace» (6). L’exemple montre qu’il n’existe que peu de transparence.

Contrer la privatisation de l’asile

Les critiques soulevées durant les mobilisations dévoilent des problèmes qui ne sont pas uniquement liés aux lois xénophobes. La privatisation, le manque de transparence et la source des profits d’ORS sont les produits d’une gestion néolibérale de l’asile. Les autorités politiques choisissent de remettre en mains privées un service public qui devrait être contrôlé démocratiquement. Dans une situation de marché, les droits et la satisfaction des besoins des requérants sont subordonnés aux règles de la concurrence et à la logique du capital.

Philippe Blanc
membre du CCSI/SOS Racisme Fribourg


Notes:

(1) L’aide sociale versée aux demandeurs d’asile équivaut à la moitié de celle des résidents et Suisses dans le besoin.

(2) Cahier des charges – Mandat asile 2008, SASoc 2.

(3) Info Syndicales – no 2, 2007, SSP-CFT Fribourg

(4) «Les profiteurs de l’asile», Le Courrier, 22 décembre 2011

(5) «Die Asylprofiteure», WOZ, 8 décembre 2011.

(6) «Höchste Anforderungen – einwandfreie Leistungen», communiqué d’ORS, 5 mai 2012