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Notre regard

Appel | non à la révision de la loi sur l’asile

Le Conseil National a voté différentes révisions de la loi sur l’asile qui seront soumises au Conseil des Etats à la session de septembre 2012. Nous voulons faire part de nos inquiétudes en rapport avec les plus graves de ces propositions. En particulier, nous dénonçons que le principe de la protection des réfugiés en quête de refuge a totalement disparu des préoccupations politiques. Nous savons que le totalitarisme est arrivé au pouvoir sans jamais avoir la majorité, mais grâce aux renoncements et à la lâcheté des uns et des autres[1]. La haine de l’autre, du juif ou de l’étranger, détruit la démocratie.

Comme il n’est pas possible d’examiner toute ces propositions de l’actuelle révision tant la situation de l’asile est détériorée, nous reprenons ici les plus problématiques.

Abrogation de l’opportunité comme motif de recours  (art. 106 LAsi)

Si le Tribunal administratif fédéral (TAF) ne peut plus examiner l’opportunité des décisions de l’Office fédéral des migrations (ODM), cela signifie qu’il ne sera plus possible de contester par la voie du recours les décisions en matière d’asile, de statut de réfugié, d’octroi d’un permis humanitaire ou de regroupement familial, qui sont toutes des questions d’opportunité et non strictement de légalité. L’ODM sera ainsi l’unique instance de décision sur toutes les questions fondamentales. Seules pourront encore être contestées les vices patents de procédure tels le défaut de notification d’une décision, l’absence de motivation, ou si l’ODM n’a pas tenu d’audition.

Cette révision viole l’article 13 CEDH qui prévoit le droit à un recours effectif, y compris sur l’opportunité, en matière de renvoi (art. 3 CEDH) ou de regroupement familial (art. 13 Cst et art. 8 CEDH).

Des « pays sûrs » en matière de renvoi (art. 83 al. 5 LEtr)

Le Conseil fédéral pourra désigner des « pays sûrs » où le renvoi sera toujours exigible. C’est-à-dire que les demandeurs d’asile ne pourront plus faire valoir leurs motifs médicaux. Le rapport médical versé au dossier ne sera même pas examiné par l’ODM, sur la présomption légale que les soins existent dans l’Etat de destination, par exemple en Macédoine, en Bosnie, au Kosovo ou en Arménie. Il s’agit là d’une ignominie. Les autorités vont dire aux gens qui sont gravement malades ou dont les enfants sont gravement malades qu’ils doivent retourner dans leur pays d’origine même si cela devait entraîner la précipitation de leur maladie ou leur mort.

Cette révision est immorale. Elle est contraire à l’obligation de protéger les personnes qui ont besoin de soins médicaux vitaux (art. 3 CEDH).

Abrogation de l’asile aux personnes dépendantes (art. 51 al. 2 LAsi)

Il s’agit des personnes qui dépendent dans une large mesure d’un réfugié reconnu en Suisse comme par exemple : un neveu orphelin et mineur, une vieille mère ou une sœur aveugle. Ces personnes sont très peu nombreuses mais surtout extrêmement vulnérables. Elles ne peuvent pas survivre en dehors de leur famille d’adoption. Le Conseil National propose de supprimer l’asile en leur faveur. Il est difficile de comprendre quelle est la motivation profonde de cette proposition.

Cette révision est immorale. Elle est contraire au principe de l’unité de la famille (art. 13 Cst et art. 8 CEDH).

Exclusion de la qualité de réfugié pour les déserteurs (art. 3 LAsi)

Il s’agit de la révision la plus connue. Le Conseil National a supprimé la mention « sous réserve de la Convention relative au statut des réfugiés » qui stipulait que cette Convention devait être respectée. C’est-à-dire que le Conseil National ne veut pas que la Convention relative au statut des réfugiés soit respectée en ce qui concerne les déserteurs, qui sont considérés comme des opposants par les régimes politiques répressifs qu’ils doivent fuir. C’est-à-dire encore que le Conseil National ne veut pas que la Suisse respecte ses engagements internationaux.

Cette révision est contraire à la Constitution fédérale qui oblige les autorités de notre pays à respecter ses engagements internationaux (art. 5 Cst), y compris la Convention relative au statut des réfugiés.

Sept ans de galère…(art. 84 al. 5 LEtr)

Le Conseil National propose de prolonger à sept ans la durée du séjour des personnes admises provisoirement en Suisse avant de leur permettre de demander une autorisation de séjour. Rappelons que l’admission provisoire est un statut extrêmement précaire, où les personnes reçoivent une aide sociale très basse, ne peuvent pas librement changer de canton ou voyager, ont des difficultés à accéder à la formation ou à l’emploi, et sont durablement séparées de leurs conjoint et enfants à cause des restrictions au regroupement familial. Ces mesures les empêchent de s’intégrer. Après sept ans, la perte des compétences sociales est grave et nombre de ces personnes ne parviendront plus à se sortir de la dépendance aux prestations d’aide sociale.

… et dix ans sans voir ses enfants ? (art. 85 al. 7 LEtr)

Selon l’expérience, on sait qu’il faut en moyenne deux à trois ans avant que l’ODM prononce une admission provisoire, et si la loi prévoit que le regroupement familial de ses enfants et de son conjoint ne peut être demandé que cinq ans plus tard, et que les autorités mettent encore au moins une année pour statuer sinon deux, les familles resteront séparées pendant neuf à douze ans en moyenne. Pendant toutes ces années, les enfants ne verront pas leur mère ou leur père. La plupart d’entre eux seront devenus majeurs entre temps, ce qui entérinera la séparation irrémédiable de la famille.

Cette révision est contraire au droit de la famille d’être réunie (art. 8 CEDH).

Des camps pour étrangers « récalcitrants » (art. 26 LAsi)

Le Conseil National veut reléguer dans des « centres spécifiques gérés par l’ODM » les demandeurs d’asile qui « menacent l’ordre public » ou « portent atteinte au fonctionnement des centres » fédéraux ou cantonaux. Le placement dans un « centre spécial » est une forme de sanction au sens de l’article 6 CEDH. C’est-à-dire que l’ODM devra d’abord rendre une décision qui qualifie le comportement de la personne. Cette décision devra ensuite pouvoir être contestée devant un Tribunal de pleine juridiction, qui est à même de la réformer entièrement, y compris dans son opportunité, au cours d’un procès équitable et contradictoire, nécessitant l’organisation de débats judiciaires publics.

Ces garanties de procédure, qui sont beaucoup plus exigeantes que dans le domaine de l’asile et du renvoi, ne sont prévues nulle part dans le projet. Il n’est pas même mentionné que l’ODM doit rendre une décision d’assignation à un « centre spécial ».

 

Texte de la révision http://www.parlament.ch/sites/doc/CuriaFolgeseite/2010/20100052/N22%20F.pdf


[1] L’aide sociale aux requérants supprimée, Le Temps, 14 juin 2012