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Notre regard

Editorial | Une autre Suisse est possible

Près de 64’000 signatures déposées dans le cadre du référendum contre les mesures urgentes de la loi sur l’asile. Malgré les fêtes de fin d’année et les prédictions d’échec. Malgré l’absence de certains poids lourds auprès des référendaires. Mais surtout grâce à l’engagement d’individus convaincus qu’on ne peut laisser le Parlement piétiner le droit d’asile sans réagir. Que les grands changements ont toujours été le fait d’une minorité. Et que cette minorité doit pouvoir s’exprimer dans les urnes (lire également p. 3).
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«Combien serons-nous?» titrions-nous notre dernier numéro. La question se posera le 9 juin et tout au long de la campagne à venir. Une campagne qui s’annonce difficile. Difficile car le trend est au repli, à la xénophobie assumée, au discours soi-disant «sans tabou» porté par les plus hautes sphères de l’Etat. Un discours technocratique qui criminalise, amalgame, stigmatise. Il suffit de lire les « Lignes directrices sur la restructuration de l’asile » adoptées le 21 janvier lors d’une Conférence nationale sur l’asile pour percevoir la Suisse que les dirigeants de ce pays nous concoctent.

Il suffit de lire les «Lignes directrices sur la restructuration de l’asile» adoptées le 21 janvier lors d’une Conférence nationale sur l’asile pour percevoir la Suisse que les dirigeants de ce pays nous concoctent.

Une Suisse des centres (pour ne pas dire des camps): centres de procédure, centres d’attente, centres de départ, centres «spéciaux» (pour récalcitrants), centres de détention administrative… Le demandeur d’asile sera déplacé d’un lieu à l’autre, sans jamais entrer en contact avec la population.Le renforcement du dispositif sécuritaire aux abords des centres mettra encore du piment à l’ambiance conviviale de notre pays. Et les cantons se disent prêts, comme le demande la Confédération, à augmenter de 500 à 700 places de détention administratives les 430 existantes.
La restructuration de l’asile vise en effet à généraliser la détention administrative, jusqu’ici appliquée avec plus ou moins de zèle par les cantons: «Si la personne séjournant dans un centre de préparation du départ répond aux conditions d’une mise en détention en vue de son renvoi ou de son expulsion, l’ODM ou le canton l’ordonne.» Rappelons juste que les «conditions» d’une mise en détention n’ont rien à voir avec un crime ou un délit pénal. Bref, le message des autorités à la population est clair: «On les enferme parce qu’ils sont dangereux». Mais ne deviennent-ils pas virtuellement dangereux parce qu’on les enferme et qu’on ne montre d’eux que le dispositif sécuritaire qui les entoure? Est-ce cette Suisse-là que la population désire réellement?

Les bénévoles ayant battu le pavé lors de la récolte de signatures ont été frappés par l’ignorance du public sur ce qu’est déjà la réalité de l’asile en Suisse. Mais aussi sur son attente et sur sa demande d’information. A ce titre, la campagne référendaire du 9 juin sera essentielle. Notre défi sera  de sortir du cercle des convaincus. De parler des mesures urgentes, mais aussi de dénoncer l’engrenage dans lequel le pays s’enfonce, révision après révision (lire p.2) De faire comprendre à quel point le traitement que nous faisons subir aux populations les plus vulnérables  finira par rejaillir sur nous.

Une autre Suisse est-elle possible? Desmond Tutu a dit que le changement était un raz-de-marée fait d’un million de vaguelettes. (1) Dans ce numéro, nous avons voulu montrer quelques parcelles de solidarité et de résistance (p. 5, 7, 14, 15). Et nous ne manquerons pas de relayer toute initiative  visant à rendre la Suisse plus  juste envers les plus vulnérables.

Sophie Malka