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Notre regard

Voix d’Exils | Africain? Alors dealer!

Il y a déjà certains endroits à Lausanne où je n’ose plus mettre les pieds de peur de me faire arrêter. Mais la cerise a été déposée sur le gâteau jeudi 14 mars 2013. J’étais confortablement installé chez moi dans mon canapé, entouré d’amis Européens, pour visionner l’émission de Temps Présent diffusée sur la chaîne nationale suisse RTS 1 intitulée « Guerre aux dealers ». Et tout d’un coup, j’ai vraiment eu envie de disparaître, tellement j’avais honte de mon africanité. Le lendemain, grâce au recul de la réflexion, j’ai voulu désapprouver publiquement ce sentiment de honte en m’exprimant sur Voix d’Exils.

Cet édito écrit par André a été publié par Voix d’Exils le 27 mars 2013. Vous pouvez le lire dans le site internet de Voix d’Exils en cliquant ici.

Il est vrai que certains Africains sont des dealers. Mais est-ce vraiment raisonnable de généraliser en associant le deal à tous les Africains? N’y a-t-il pas des Africains préoccupés à vivre décemment, en sécurité et en paix? N’y a-t-il pas des Africains qui contribuent à la marche sociale et économique de la Suisse; notamment dans des secteurs d’activités – parfois boudés par les autochtones – comme la santé?

Une grande partie de la population prend pour argent comptant ce qu’elle voit à la télévision. Donc il faut faire attention, à fortiori lorsqu’on est une chaîne nationale comme la Radio Télévision Suisse et quand on appartient au corps de police, aux messages qu’on véhicule. Lors de cette émission de Temps Présent, j’ai été choqué d’entendre à de nombreuses reprises des policiers qui nommaient les dealers «les Africains». Tout court. Au risque de faire une fois de plus croire à l’opinion publique que le trafic de drogue est une activité propre aux Africains. Les «gros bonnets» sont-ils tous des Africains? L’on sait bien pourtant que les cerveaux des opérations dans le milieu de la drogue ne sont pas ceux qui arpentent les rues, en été comme en hiver, en menant leur petit business à la sauvette. Si la drogue est un marché si florissant, il doit bien y avoir des acheteurs à quelque part. Les acheteurs sont-ils tous des Africains? Force est de constater que l’on parle finalement assez peu des gros bonnets et des consommateurs. Le trafic de drogue est un cercle vicieux, dont il ne sert pas à grand chose de désigner la couleur ou les origines des coupables et de s’attaquer à ses manifestations les plus visibles pour tenter de l’éradiquer. Hormis si l’on souhaite uniquement rassurer la population en lui signifiant qu’on affronte vraiment le problème.

Il est très dangereux de réduire la question du deal à d’un côté : les Blancs et de l’autre: les Noirs. La réalité n’est pas manichéenne et le mal est bien plus profond, bien plus complexe que cela…La misère, ainsi que la quête des gains faciles pour certains. La jouissance instantanée ou la dépendance pour d’autres. Pour ne citer que quelques facteurs. Mais soyons clairs, je ne cherche pas ici à excuser mes compatriotes Africains qui s’adonnent au trafic de drogue, même si l’indigence peut inciter certains à sombrer dans la spirale du deal. Dans toutes les situations, nous avons la capacité de faire des choix pour que cela ne porte pas préjudice à soi comme aux autres.

Un proverbe africain dit que «tous les moutons se promènent ensemble, mais ils n’ont pas les mêmes valeurs». Dealer n’est pas synonyme d’Africain, de même que pédophile n’est pas synonyme d’Européen. Il faut savoir faire la part des choses et ne pas confondre la minorité avec la majorité en mettant tout le monde dans le même panier. Au risque de renforcer d’autres phénomènes aussi dangereux, voire encore plus dangereux que celui du trafic de drogue, comme celui de la haine raciale.