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Documentation

Turquie | L’accueil des réfugiés syriens

Une opportunité pour la Turquie de démontrer sa capacité d’intervention humanitaire ?

Article de Nicolas Fait paru dans l’Observatoire de la vie politique turque le 24 juillet 2012. Cliquez ici pour voir l’article dans le blog.

La Turquie, pays généralement considéré comme un carrefour migratoire, n’a pas toujours été un exemple en matière de respect des droits auxquels peut prétendre un migrant (qu’il soit réfugié ou non). Il y a encore peu, les rapports des ONG spécialisées s’accumulaient, et tous s’accordaient pour faire un constat évoquant le manque de droit des étrangers, notamment des irréguliers ou des demandeurs d’asile. Les rapports d’Human Right Watch, d’Helsinki Citizen Assembly et de Migreurop nous éclairent sur les pratiques courantes relatives à l’enfermement ou encore à l’expulsion de migrants dans ce pays. Les «centres pour invités» (misafir hanesi) récemment reconvertis en plus politiquement corrects «centres d’expulsion» (geri gönderme merkezi) y sont décrits comme des lieux où les privations de droits sont monnaie courante. Un rapport d’Helsinki Citizen Assembly dénonce également les procédures arbitraires d’expulsion sur les frontières irakiennes ou iraniennes. Le décès du Nigérian Festus Okay, lors d’une garde à vue, le 20 août 2007, suite à la maltraitance des policiers, a probablement été l’un des symboles des écarts des forces de l’ordre, à cet égard.

Ceci étant dit, la Turquie a récemment montré un autre visage en la matière. La guerre civile en Syrie a provoqué un fort exode de populations vers la Turquie, notamment vers les provinces du Hatay, de Şanlıurfa ou encore de Gaziantep. La Turquie n’est pas la seule dans cette situation : la Jordanie compterait 33 000 réfugiés sur son territoire, l’Irak, 7 000 et enfin le Liban, désormais 60 000. Les Nations Unies évaluent le nombre de réfugiés syriens dans les pays limitrophes à 112 000, à la mi-juillet. On peut d’ors et déjà réévaluer ce chiffre à plus de 145 000. En Turquie, le nombre de réfugiés syriens est aujourd’hui évalué à 43 000 par l’AFAD (Afet ve Acil Durum Yönetimi Başkanlığı, la Direction pour la gestion des situations de crise et d’urgence). Neuf «villes-camps» (huit «villes-tentes» et une «ville-conteneurs») ont été installées dans la région, et on prévoit d’en construire d’autres.

C’est dans ce contexte politique et humanitaire que le vice-premier ministre, Bülent Arınç, a récemment souligné les efforts que la Turquie a faits en la matière, lors d’une visite de Maria Otero (cf. photo), sous-secrétaire d’État américaine pour la démocratie et les affaires internationales : «Nous possédons une frontière de 910 kilomètres avec la Syrie, et c’est à cette frontière que chaque jour des centaines de réfugiés fuient les persécutions du régime d’el-Assad. Nous ne les repoussons pas, nos portes leurs sont ouvertes. Nous leurs préparons des solutions. Jusqu’alors, le gouvernement turc a dépensé plus de 200 millions de dollars pour ces mesures. Et nous dépenserons bien plus parce que c’est une question d’humanité.» Maria Otero, pour sa part, a tenu peu après des propos très élogieux sensiblement similaires : «Vous avez fait preuve de magnanimité en laissant vos frontières ouvertes (…) vous vous êtes montrés exemplaires aux yeux du monde.»

Ahmet Davutoğlu s’est également exprimé sur le sujet lors d’une conférence de presse consacrée à la crise syrienne, le 16 juin 2012 : « Humainement, il est évident que l’arrivée massive des réfugiés en Turquie nous préoccupe ». Puis, faisant référence aux mesures prises par la Turquie, mais aussi par les Nations Unies envers le régime baasiste, il a déclaré : « Ce qui est important est de prendre les mesures les plus efficaces dès que possible pour mettre fin à la tragédie humanitaire ». Bien que le Washington Post ait souligné les difficultés techniques liées à l’encadrement des réfugiés et la multiplication récente des rixes dans les camps, la Turquie est perçue comme un exemple en la matière.

La crise syrienne a amené son lot de questions pour la Turquie (cf. notre édition du 20 juillet 2012). Dans son opposition aux dérives du régime d’el-Assad et quitte à s’écarter de la politique de bon voisinage d’Ahmet Davutoğlu, les autorités turques se sont rangées du coté des civils et des rebelles, et ont par conséquent décidé de laisser leur frontière ouverte et d’organiser l’accueil des réfugiés. Il s’agit certes d’un événement ponctuel, probablement difficile à relier directement à l’impact des réformes engagées dans le cadre des négociations avec l’Union Européenne et de l’adoption des acquis communautaire en terme d’asile et d’immigration sur la normalisation des pratiques et la sécurisation des frontières (cf. nos éditions du 9 juillet 2012 et du 19 mai 2012). Toujours est-il que la Turquie semble en l’occurrence encline à prouver son engagement réformateur.