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Documentation

Amnesty International: rapport sur la Libye

Communiqué de presse du 20 juin 2013

libye

Libye. Des réfugiés, demandeurs d’asile et migrants sont maintenus en détention illimitée dans des conditions déplorables

Les autorités libyennes doivent agir immédiatement afin de mettre un terme à la détention illimitée de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants – parmi lesquels se trouvent des enfants –, ordonnée aux seules fins du contrôle de l’immigration, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse diffusée jeudi 20 juin 2013 à l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés.

Ce document, intitulé Scapegoats of Fear: Rights of Refugees, Asylum-Seekers and Migrants Abused in Libya, met en lumière le traitement inacceptable réservé à des milliers d’étrangers, dont beaucoup sont originaires d’Afrique subsaharienne ; soumis à des arrestations arbitraires, ils sont incarcérés pendant de longues périodes dans des conditions déplorables à l’intérieur de centres de détention des services de l’immigration, sans perspective de libération ni de réparations.

Des délégués d’Amnesty International se sont rendus dans sept de ces centres de détention en avril et mai 2013, et ont relevé des preuves de mauvais traitements, s’apparentant dans certains cas à des actes de torture. De nombreux détenus ont par ailleurs été privés de soins médicaux, et il était en outre prévu que certains soient expulsés pour raisons médicales.

« Les actes de torture et les mauvais traitements mis au jour dans ces centres de détention sont inacceptables et viennent souiller le bilan de la Libye post-Kadhafi. Les abus perpétrés contre des personnes originaires d’Afrique subsaharienne étaient l’une des caractéristiques du régime Kadhafi et risquent de devenir une des marques de fabrique du pays si les autorités libyennes ne font pas immédiatement marche arrière sur ce terrain », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Amnesty International a recensé plusieurs cas de détenus, parmi lesquels des femmes, qui auraient été sauvagement battus à coups de tuyaux et de câbles électriques. Dans au moins deux de ces centres de détention, l’organisation a recueilli les témoignages de détenus ayant été blessés par des balles réelles pendant des émeutes. Un homme blessé au pied a ensuite été attaché à un lit, puis frappé dans le bas du dos avec une crosse de fusil ; quatre mois plus tard, il n’est toujours pas en mesure de marcher ni même de se tenir debout.

Pourtant, l’Union européenne (UE), lauréate du prix Nobel de la paix cette année, et ses États membres ont aidé les autorités libyennes à renforcer la sécurité aux frontières et à élaborer une « stratégie intégrée de gestion des frontières » afin de juguler la « migration illégale » vers l’Europe, aux dépens des droits humains. Amnesty International a exhorté à de nombreuses reprises l’UE à respecter pleinement les droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants, et à faire en sorte que sa volonté d’empêcher certaines personnes de pénétrer sur son territoire ne contribue pas aux violations des droits humains et ne les perpétue pas.

« Les aides européennes doivent servir à la promotion et à la protection des droits humains en Libye, en particulier alors que ce pays ne s’est pas encore relevé du conflit armé récent et doit faire face aux abus du passé », a souligné Hassiba Hadj Sahraoui.

« Il est profondément dérangeant que des aides versées par l’UE aient semble-t-il été utilisées afin de financer des établissements où sont détenus illégalement des milliers d’étrangers. Les demandeurs d’asile et les réfugiés qui ont droit à une protection internationale et qui ne devraient être détenus au motif de leur statut que dans les circonstances les plus exceptionnelles, sont parmi les personnes régulièrement arrêtées et maltraitées en détention. »

Les pratiques de la Libye concernant le placement en détention de migrants bafouent non seulement les obligations du pays aux termes du droit et des normes internationaux relatifs aux réfugiés et aux droits humains, mais elles sont en outre incompatibles avec les obligations de l’UE en matière de droits humains, ainsi qu’avec les normes de l’UE relatives à la détention et au renvoi chez eux de ressortissants de pays tiers.
« La Déclaration constitutionnelle de la Libye, adoptée en 2011, dispose que l’ » État garantira le droit d’asile en vertu du droit « . Il est urgent que les autorités traduisent ce principe en actes concrets et adoptent des lois établissant un système d’asile national. »

Amnesty International exhorte l’UE et ses États membres à ne pas conclure d’autres accords sur le contrôle de la migration avec la Libye tant que le pays n’aura pas démontré qu’il respecte et protège les droits humains des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile et qu’il dispose d’un système satisfaisant d’examen et de traitement des demandes de protection internationale.

En Libye, les migrants sont souvent perçus comme une menace à la sécurité nationale.Depuis mai 2012, les autorités libyennes ont expulsé 25 000 personnes qui seraient entrées dans le pays de manière « irrégulière ». Des milliers d’entre elles ont été maintenues en détention pendant des mois avant leur expulsion, sans pouvoir bénéficier de l’aide d’un avocat, ni contester leur expulsion forcée et leur éventuel placement en détention.
« Les autorités libyennes doivent modifier leur législation, en fixant une durée maximum au placement en détention préalable à une expulsion pour les migrants », a expliqué Hassiba Hadj Sahraoui.

L’organisation a par ailleurs constaté que les autorités libyennes ont repris les expulsions d’étrangers présentant des infections telles que l’hépatite ou le VIH/sida, après la réintroduction des examens médicaux obligatoires plus tôt cette année.

« Nul ne devrait être expulsé en raison de son état de santé », a précisé Hassiba Hadj Sahraoui. « Réintroduire ces examens obligatoires pour les étrangers et les expulser en raison de leur état de santé revient à en faire des boucs émissaires et prouve à quel point les politiques de santé publique de la Libye sont inadéquates. »

Au moment de la visite d’Amnesty International, un total de 5 000 réfugiés, demandeurs d’asile et migrants étaient répartis entre 17 centres de détention dépendant du ministère de l’Intérieur – outre ceux, dont le nombre est inconnu, se trouvant aux mains des milices. Les délégués de l’organisation ont également rencontré un petit nombre de mineurs non accompagnés, dont certains n’avaient pas plus de 10 ans, dans au moins trois de ces centres de détention ; ils s’y trouvaient depuis des mois.

Les conditions d’hygiène dans un grand nombre des centres visités étaient épouvantables, exposant les détenus à un risque de maladie, infections pulmonaires et diarrhée chronique, notamment.

Au centre de Sabha, où quelque 1 300 personnes étaient incarcérées en mai dernier, les détenus vivaient dans des pièces crasseuses et surpeuplées. Cet établissement était par ailleurs dépourvu d’un système d’évacuation des eaux usées fonctionnel – et les couloirs étaient remplis de piles d’ordures. Environ 80 détenus, qui s’étaient plaints de démangeaisons aux mains et aux parties génitales, symptômes associés à la gale, avaient été placés dans une cour au soleil pour tout traitement, mais avaient fini par souffrir de déshydratation en raison de leur exposition prolongée.

« Priver les détenus de véritables soins médicaux est tout simplement inexcusable, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui. Le gouvernement libyen doit montrer au monde qu’il est déterminé à protéger les droits de toutes les personnes vivant en Libye, quel que soit leur statut et leur nationalité. »