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Notre regard

Le demandeur d’asile n’existe pas

La Suisse vient de modifier unilatéralement la définition du réfugié ancrée dans le droit international en excluant les déserteurs de sa portée (Mesures urgentes de la loi sur l’asile). Un retour au fondement du droit des réfugiés nous rappelle que ceux-ci resteront des réfugiés, que la Suisse le veuille ou non. Dès lors, cette exclusion pourrait entraîner des violations en série des droits que leur confère la Convention de 1951. (réd.)

MICHAEL

Fin novembre 2012, j’ai suivi un cours organisé par l’European Council on Refugees and Exiles (ECRE) dont le principal intervenant était le Professeur canadien James C. Hathaway, éminent spécialiste du droit international des réfugiés.

Auditeur pourtant averti de la question, je n’en ai pas moins été marqué par le fait que jamais Hathaway n’a prononcé les termes de « demandeur d’asile ». Il n’a parlé que de « réfugié ». Ce faisant, il a rappelé une règle essentielle du droit en la matière: une personne, lorsqu’elle fuit son pays, est déjà réfugiée, indépendamment de la reconnaissance ultérieure de ce statut au terme d’une procédure d’asile. Cette reconnaissance ne revêt qu’un caractère déclaratif: elle reconnaît, par déclaration, un fait qui lui préexiste. Autrement dit, on n’est pas réfugié parce qu’on est reconnu comme tel, mais parce qu’on répond aux critères définis par la Convention.

Cela je le savais, même si ma pratique quotidienne de juriste m’a amené à négliger ce principe, aux conséquences importantes.

En premier lieu, la plupart des réfugiés dans le monde se trouvent dans des pays qui n’ont pas nécessairement adopté une procédure d’asile. Ces personnes n’en demeurent pas moins des réfugiés présumés et devraient bénéficier, à ce titre, de la protection garantie par la Convention. Cet « a priori » positif doit leur être garanti, aussi longtemps qu’une procédure n’aura pas permis de déterminer qu’elles ne sont pas réfugiées au sens du droit international et sortent donc du champ d’application de la Convention.

En découle une seconde conséquence, s’agissant des droits dont peuvent se prévaloir ceux que nous appelons « requérants d’asile » sous l’angle de la Convention. L’interprétation qu’en fait Hathaway est particulièrement intéressante.

Droits à géométrie variable

Selon lui, il existe cinq degrés de rattachement (« level of attachment ») à la Convention (cf. not. op. cit. pp. 156ss). Chaque degré octroie des droits au réfugié.

  • Le premier de ces degrés est celui du réfugié qui se trouve simplement sous la juridiction d’un État au sens où celui-ci contrôle de fait la situation (ex. arraisonnage en haute mer). Dans une telle situation, il est déjà protégé par le principe le plus important du droit des réfugiés, le principe de non-refoulement ancré à l’art. 33 de la Convention.
  • Le second degré est celui où le réfugié est sur le territoire d’un État, en particulier dans ses eaux territoriales ou dans la zone dite « internationale » d’un de ses aéroports. Dans ces circonstances, l’art. 31 de la Convention interdit aux États d’appliquer des sanctions pénales pour entrée ou séjour irréguliers.
  • Le troisième degré concerne le réfugié qui se trouve régulièrement sur le territoire d’un État. Tout requérant d’asile en procédure fait partie de cette catégorie. Les droits rattachés à ce degré sont notamment celui de la liberté de circulation prévu à l’art. 26 de la Convention ou le droit d’exercer une profession non salariée en vertu de son art. 18.
  • Le quatrième degré s’adresse aux réfugiés qui résident régulièrement sur le territoire d’un État, c’est-à-dire, soit les réfugiés reconnus après une procédure d’asile, soit ceux qui sont autorisés à rester dans un État qui n’aurait pas une telle procédure. Ici, à titre d’exemple, nous pouvons citer le droit d’obtenir un titre de voyage prévu à l’art. 28 de la Convention.
  • Finalement, le cinquième degré est réservé à une catégorie de réfugiés qui remplissent des conditions de durée de séjour spécifiques. Ils devraient, par exemple, pouvoir bénéficier d’une procédure de naturalisation accélérée selon l’art. 34 de la Convention.

Les droits liés à chaque degré  se cumulent à mesure qu’on gravit ces cinq «échelons».

Une telle lecture de la Convention ouvre des pistes de réflexions et d’analyses nouvelles. Sur cette base, on constate que la législation suisse est tantôt plus généreuse, tantôt plus restrictive que les dispositions de la Convention. Ainsi, l’assignation, par la Suisse, des demandeurs d’asile à un canton de résidence est contraire à l’article 26 de la Convention (degré 3). Et l’interdiction faite aux requérants d’asile d’exercer une activité non salariée contrevient à l’article 18 de la Convention (degré trois de rattachement qui concerne tous les requérants d’asile en procédure, voir ci-desus). En revanche, l’exercice d’une activité salariée, rattaché au degré quatre par la Convention (réfugiés reconnus), est autorisée en Suisse aux demandeurs d’asile dans certaines branches d’activité trois mois après le dépôt de la demande d’asile.

Dublin, un non-sens absolu

S’appuyant sur cette analyse, Hathaway pose un regard très sévère sur le système dit de Dublin. Non seulement imposer à un réfugié un État responsable du traitement de sa demande d’asile est contraire à la Convention. Mais restreindre ses autres droits, dans l’attente qu’ils soient garantis par un autre Etat jugé responsable de sa demande d’asile, l’est tout autant.

Dans le même ordre d’idée, l’exclusion, par le droit suisse, de la reconnaissance du statut de réfugié de personnes répondant aux critères de la Convention viole celle-ci de par cette exclusion, mais entraîne d’autres violations en série, sous l’angle des droits mentionnés ci-dessus.

Tant qu’il n’y aura pas de Cour internationale en charge du contrôle de l’interprétation et de l’application de la Convention, il ne sera pas possible d’éviter que les États, à l’instar de la Suisse, légifèrent en contradiction avec le texte de 1951.

Michael Pfeiffer
CSP-Genève