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Notre regard

Pas de refuge interne en Afghanistan

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La sécurité n’est pas assurée à Kaboul et il n’existe pas de possibilité de refuge interne en Afghanistan face aux persécutions des Talibans: voici les conclusions d’un arrêt du TAF [1] cassant la décision de l’ODM qui accordait uniquement une admission provisoire à une famille afghane. Celle-ci estimait avoir le droit au statut de réfugié. Une seconde décision d’admission provisoire sera, suite à cet arrêt, également cassée par le Tribunal [2].

En août 2009, Madame O. arrive en Suisse en compagnie de quatre enfants, l’aîné étant âgé de 15 ans et le cadet d’un peu plus de deux ans. Son mari, commerçant en Afghanistan, avait reçu à plusieurs reprises des menaces de la part des Talibans. Ces derniers lui demandaient d’arrêter de commercer avec les autorités et d’empêcher sa femme d’exercer sa profession d’enseignante. Comme il refusait d’obtempérer, trois personnes cagoulées ont fait irruption au domicile familial. Le mari se bat contre les agresseurs, un coup de feu blesse mortellement un des enfants. Finalement, le mari est enlevé et Madame O. n’a plus aucune nouvelle de lui. Quelques jours plus tard, son beau-frère reçoit une lettre des Talibans qui confirment détenir le mari de l’intéressée et menacent d’enlever et de tuer leur fils aîné, A. Devant ce nouveau danger, Madame décide de fuir avec ses enfants.

En mai 2010, l’ODM refuse sa demande d’asile mais octroie une admission provisoire. Dans sa décision, l’Office indique que la famille aurait pu solliciter la protection des autorités afghanes et que les persécutions dont la famille est victime sont circonscrites au plan local et qu’elle peut s’y soustraire en se rendant dans une autre partie du pays, à Kaboul notamment, où réside sa sœur.

Madame O. n’accepte pas son admission provisoire. Elle estime correspondre aux critères retenus à l’art. 3 LAsi, à savoir qu’elle ne peut exercer librement son métier d’enseignante.

Elle fait alors appel au Centre Suisses-Immigrés (CSI), en Valais.Nous prenons le mandat et déposons un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). A l’appui de notre requête, nous relevons les discriminations dont notre mandante est l’objet en raison de son statut de femme et son métier d’enseignante. Nous contestons également la possibilité de fuite interne.

Suite au recours, l’ODM se fend de deux déterminations. La première confirme que les autorités afghanes sont en mesure d’assurer la protection de leurs citoyens. Selon l’Office, six commandos de polices régionaux ainsi qu’une unité de police et une unité de combat de l’armée apportent une stabilité à la situation sécuritaire dans la capitale. En réponse, nous faisons état d’une analyse de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) d’août 2011 qui infirme en tous points l’optimisme de l’ODM sur la stabilité sécuritaire en Afghanistan et à Kaboul en particulier. Dans sa deuxième prise de position, l’ODM insiste une fois encore sur la stabilité qui règne à Kaboul ; sur la présence, dans cette ville, de la sœur et du beau-frère de la requérante qui pourraient l’héberger elle et ses enfants ; et sur le métier d’enseignante de Madame O. qui lui permettrait d’assumer l’entretien de sa famille. On croit rêver… En effet, c’est justement l’exercice de sa fonction d’enseignante qui a provoqué l’ire des Talibans et qui l’a forcée à s’exiler ! De plus, l’ODM estime que les déclarations des requérants comportent de nombreuses invraisemblances, notamment que le fils aîné a donné des réponses vagues au sujet du décès de sa sœur et que la requérante et son fils ne se sont pas montrés très intéressés de connaître les mesures entreprises par le beau-frère pour retrouver le père de famille. Ce à quoi nous répondons notamment que l’urgence, pour Madame O., était d’éviter l’enlèvement de son fils aîné et de mettre le reste de la famille à l’abri de mesures de représailles.

Par un arrêt du 8 janvier 2013, le TAF casse la décision de l’ODM et reconnaît à Madame O. et à ses enfants le statut de réfugié. Contrairement à l’instance inférieure, le TAF considère le récit de la requérante et de son fils aîné crédible, cohérent et suffisamment détaillé. Selon lui, la narration précise de l’agression dont la famille a été victime autorise à conclure que cet événement a effectivement été vécu par les intéressés. En outre, il estime que Madame O. a décrit de manière convaincante ses activités d’enseignante et que, compte tenu de l’idéologie islamique intégriste des membres de la mouvance talibane, il est parfaitement vraisemblable qu’ils aient tenté de l’obliger à cesser son enseignement. Pour ce qui est de la fuite interne, le TAF conclut qu’aucune des régions d’Afghanistan ne peut, en l’état actuel des choses, garantir aux intéressés la sécurité ni les mettre durablement à l’abri de persécutions de la part des Talibans. Il souligne également que des incidents impliquant les Talibans secouent régulièrement Kaboul et qu’on ne saurait exclure une prise de contrôle ou une infiltration à grande échelle de la ville par les forces talibanes après le retrait du contingent des forces internationales. Par conséquent, l’alternative de protection interne retenue par l’ODM pour refuser la qualité de réfugié à Madame O. n’est pas de mise, conclut le TAF. Le recours dirigé contre le refus de la qualité de réfugié et de l’asile est par conséquent admis et l’asile accordé à notre mandante et à ses quatre enfants.

Françoise Jacquemettaz
CSI-Sion


Notes:

[1] Arrêt du TAF du 8 janvier 2013, Cour V, E-4537/2012

[2] Arrêt du TAF du 24 janvier 2013, Cour IV, D-2661/2011