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Notre regard

Loi sur l’asile | Le pire est-il à venir?

Au lendemain de l’adoption des mesures urgentes de la loi sur l’asile (LAsi), voici un aperçu des prochaines étapes de cette révision, qui touchent à la fois la concrétisation des mesures urgentes (projet 3) et en particulier des procédures en phase de test, la révision de la loi entérinée en décembre 2012 (projet 1), et la grande restructuration de l’asile concoctée par le Département fédéral de justice et police (DFJP) (projet 2), avec la création des grands centres fédéraux, que sont sensés «expérimenter» les procédures test avant que le projet ne soit finalisé. Sauf que…

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Ce dessin fait partie de l’exposition La Suisse terre d’accueil – Eldorado ou paradis perdu? à la Maison du dessin de presse à Morges (13 juin – 25 août)

L’adoption ce 9 juin des mesures urgentes par le peuple a comme conséquence immédiate la mise en œuvre des nouvelles procédures en phase de test, auxquelles 1 demandeur sur 5 sera soumis dès le second semestre 2013, dans un centre prévu à Zurich.

L’ordonnance régissant le contenu de ces nouvelles procédures a été mise en consultation avant la votation du 9 juin, sans publicité aucune. Les résultats de la consultation n’étaient en revanche pas connus à cette date (1). Les textes provisoires laissent craindre une accélération plus que drastique de la procédure de première instance et de recours. Les délais y sont tellement lapidaires, qu’il paraît inimaginable que les requérants puissent réellement faire valoir leurs motifs d’asile, rassembler les preuves nécessaires à l’établissement des faits invoqués ou produire les expertises médicales qui contribuent à prouver la véracité des mauvais traitements subis dans le pays d’origine en si peu de temps, même avec les meilleurs avocats du monde. La procédure durera en tout et pour tout 18 jours pour les procédures relevant des accords de Dublin et 29 jours maximum pour les autres cas. Ces délais comprennent une phase préparatoire de 10 à 21 jours, durant laquelle toutes les informations nécessaires au traitement de la demande seront rassemblées et examinées, puis une phase de procédure, incluant une audition sur les motifs d’asile, un projet de décision soumis au demandeur d’asile et à son représentant juridique et la rédaction de la décision finale. Les délais de recours passeront de 30 à 10 jours pour toutes les décisions rendues dans ce cadre, à l’exception des décisions Dublin, pour lesquels le délai de recours sera de 5 jours.

Des délais intenables. Et qui risquent de provoquer la démultiplication des démarches après clôture de la procédure ordinaire, en raison du manque de temps auxquels les requérants et leurs conseillers seront confrontés pour prouver les faits. Ils seront obligés d’ouvrir de nouvelles procédures pour le faire, ce qui rallongera au contraire la durée globale des procédures d’asile.

Des tests qui n’en seront pas

Ces nouvelles procédures sont directement inspirées des lignes directrices de la grande réorganisation prévue par Mme Sommaruga, qui ont déjà été rendues publiques (2). Leur concrétisation dans un nouveau projet de loi (projet 2) devrait être également présentée au Parlement durant le deuxième semestre 2013 (3). Autrement dit, en même temps que débuteront les procédures en phase de test. L’introduction d’un article « urgent » autorisant la mise en place de ces phases de test avait certes été justifiée par la volonté de Mme Sommaruga d’expérimenter le modèle de procédures prévu par le projet 2 et de l’améliorer. Or, au vu du calendrier annoncé aujourd’hui, il est manifeste que ces tests n’en seront pas et qu’aucune évaluation ne sera faite avant que la nouvelle révision de la LAsi passe devant le Parlement.

En d’autres termes, Mme Sommaruga a utilisé les mesures urgentes – dont l’urgence était plus que contestable du point de vue constitutionnel – pour mettre en œuvre son projet, avant qu’il ne soit soumis à un quelconque débat. Une manœuvre douteuse, vu ses fonctions.

Des critères restrictifs, pour une procédure lapidaire

Parallèlement à la mise en place de ces procédures, les nouveaux durcissements adoptés en décembre 2012 (projet 1) dans le cadre de la révision ordinaire de la LAsi entreront en vigueur, vraisemblablement le 1er janvier 2014. Ils s’appliqueront, de même que ceux prévus par les mesures urgentes, dans le cadre des nouvelles procédures.

Ainsi, l’étau se resserre à tous les niveaux. Les critères d’octroi de protection sont de plus en plus restrictifs: exclusion des déserteurs, non prise en compte des motifs d’asile postérieurs à la fuite, liste de pays sûrs en matière de renvoi, motifs médicaux faisant obstacle au renvoi qui doivent être invoqués et établis dès le début de la procédure. Des restrictions qui s’appliqueront dorénavant dans un cadre procédural de plus en plus contraignant, assorti de délais invraisemblablement courts. Trop courts pour vérifier sérieusement des faits survenus dans un autre pays et pour garantir des décisions équitables, sachant qu’un refus infondé peut avoir des conséquences d’une extrême gravité pour des personnes  qui risquent la mort ou la torture. (voir également article sur le Sri Lanka)

Et nous ne sommes qu’au début du processus, puisque le débat qui s’ouvrira autour du projet 2 sera indubitablement l’occasion de nouvelles propositions de durcissements par le Parlement. Celui-ci en profitera pour gommer les quelques améliorations qu’il pourrait contenir, à l’instar de la protection juridique déjà très partielle qu’entend proposer Mme Sommaruga.

Va-t-il rester quelque chose de notre droit d’asile? La question est sérieuse. La ministre affiche parfois son ambition de mettre un terme au processus de révision incessante de la LAsi, grâce à sa grande réorganisation. Un postulat très naïf de prime abord, vu la composition du Parlement. Mais à bien y regarder, elle a peut-être réussi son coup: il ne restera plus grand chose à démanteler…

Marie-Claire Kunz

 

1 Ordonnance sur les phases de test (OTest).
2 Lignes directrices de la restructuration du domaine de l’asile, ODM, novembre 2011.
3 Voir à ce sujet les informations figurant sur le site de la commission des institutions politiques.