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Notre regard

Le casse-tête des permis F

«Plus de 90% des personnes admises à titre provisoire restent durablement en Suisse. C’est pourquoi on attend d’elles qu’elles soient à même de subvenir à leurs besoins. Ainsi, la Confédération, les cantons et les communes ont explicitement pour mandat légal d’encourager et d’exiger leur intégration professionnelle et sociale.» (1) La dernière brochure d’information sur l’intégration sur le marché de l’emploi des personnes admises provisoirement le reconnaît d’emblée. Les personnes titulaires d’un permis F ont de la peine à entrer sur le marché de l’emploi, et donc de devenir indépendantes financièrement, notamment parce que les employeurs «ne savent absolument pas qu’ils peuvent engager des personnes à  titre provisoire». Témoignage d’une jeune femme au parcours exemplaire, et qui se heurte aux barrières administratives et aux préjugés des agences ad interim. (réd.)

Je suis de nationalité burundaise et de formation comptable à l’Université du Burundi. J’ai 46 ans. J’ai travaillé de juin 1992 à mai 2009 au département de la comptabilité de diverses succursales burundaises de la multinationale Heineken SA.

Arrivée en Suisse en septembre 2008, j’ai demandé l’asile en mars 2009. Deux mois après, j’ai reçu une admission provisoire.

J’ai alors commencé à chercher du travail. Chaque fois on me répondait que je ne pouvais pas travailler en Suisse avec mon diplôme du Burundi, notamment de la part de la bourse à l’emploi de l’OSEO.

J’ai alors demandé à mon assistante sociale de l’époque à l’Hospice général (HG) de m’aiguiller pour me permettre de suivre une formation en comptabilité et de pouvoir répondre aux exigences du marché du travail. Elle m’a envoyée au service Unité Formation-Emploi de l’institution en septembre 2009. En mars 2010, ledit service m’annonce fermer pour cause de restructuration. Mon assistant social était supposé me tenir au courant de l’évolution de la situation. Mais je n’ai pas eu de suite.

En 2010, avec l’aide du Centre social protestant de Genève (CSP), nous avons demandé un financement au forfait intégration et j’ai pu suivre une formation d’aide-comptable à l’Ifage. J’ai obtenu un diplôme en décembre 2010.

Munie de mon diplôme suisse, j’ai recommencé mes recherches d’emploi: chez Contaplus, Adecco, Manpower,… Tous me répondaient que les employeurs ne souhaitent pas engager des personnes titulaires d’un «permis F» en raison des démarches et papiers à remplir. Je me heurtais aussi à un obstacle de taille: mon manque d’expérience sur sol helvétique.

Mon assistant social m’a alors envoyée à l’OSEO en avril 2011. J’y ai bénéficié d’une mesure de coaching, couronnée par un stage d’un mois dans une agence de voyage. Parallèlement, j’avais entamé la formation de comptable à l’Ifage. En octobre 2011, j’obtenais le diplôme. Tout ceci grâce au forfait intégration. Restait à trouver un emploi.

Pour bénéficier des services de recherche d’emploi, je me suis inscrite au chômage. Hormis un bilan de compétences, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) ne m’était pas d’une grande assistance: en septembre 2012, j’étais toujours en attente de me voir octroyer un conseiller en placement. C’est alors qu’une conseillère de l’OCE me convoque pour m’annoncer que mon dossier allait être fermé et que je ne serai plus suivie par l’OCE, car je reçois une aide financière de l’Hospice général. Et que cette institution est désormais chargée de suivre les personnes dans mon cas pour leurs recherches d’emploi.

Je retourne à l’Hospice général, voir mon assistant social. Qui m’explique que, en fait, le Service de réinsertion professionnelle de l’Hospice général s’occupe uniquement des personnes avec un permis « F » habitant en Suisse depuis 7 ans et qui ont déjà travaillé!

Là, je me suis sentie laissée à moi-même, sans aucun espoir de bénéficier d’aide pour la réinsertion professionnelle.

On m’avait conseillé de trouver un stage pour acquérir une expérience de comptable en Suisse et  d’avoir peut-être une opportunité d’être engagée une fois que j’aurais fait mes preuves.

Malheureusement partout où je m’adresse, même pour un stage non rémunéré, on me demande si je suis envoyée par le chômage. Malgré mes très nombreuses recherches d’emploi, jamais je n’ai été convoquée pour un entretien d’embauche. Les agences de placement me répètent que les employeurs n’aiment pas engager les titulaires de permis « F » en raison des procédures à faire. Ils me conseillent de faire tout mon possible pour changer de permis!

J’ai remarqué que beaucoup d’entreprises, même parapubliques, ignorent l’existence du permis F. Dans la rubrique offres d’emploi, où ils demandent des permis valables, le permis F n’est jamais mentionné explicitement. Certains employeurs demandent si une personne avec un permis F peut travailler sur le sol suisse. Et je comprends leurs inquiétudes: le permis F est qualifié d’admission provisoire. Qui aimerait investir pour une personne censée être en Suisse provisoirement? Pourtant, le permis  F est un permis comme tant d’autres, notamment le B, qui sont renouvelables chaque année.

Il faut trouver une solution pour que ce statut soit accepté sur le marché du travail comme le sont les autres permis. Pour que, dans les institutions comme l’Hospice général, la distinction entre permis F, B et C pour les mesures d’insertion professionnelle soit gommée.

Au vu de tout ce que j’ai relaté en haut, je me demande quels mécanismes l’Etat de Genève a mis en place pour nous accompagner réellement dans nos recherches d’emploi? Je souhaiterais ne plus être assistée financièrement, ne plus être à la charge de l’Etat. Je souhaiterais pouvoir me sentir utile dans ce pays qui m’a bien accueillie. J’aimerais aussi ajouter que la plupart des permis F aimeraient travailler mais n’arrivent pas à percer dans ce système.

Marie-Goretti Nduwimana
Avril 2013


Note:

(1) Informations concernant l’accès des personnes admises à titre provisoire (livret F) au marché du travail suisse, SECO/ODM, sept. 2012, 12 p.