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IRIN | Les migrants et les demandeurs d’asile changent d’itinéraire pour éviter la Grèce

La situation économique difficile, le renforcement des mesures de sécurité, l’augmentation des dettes liées au trafic et la peur des violences xénophobes découragent les candidats à la migration et à l’asile de rejoindre la Grèce. Les personnes qui arrivent par voie terrestre du Moyen-Orient, de l’Asie centrale et de l’Afrique préfèrent désormais utiliser la Bulgarie comme un marchepied avant de continuer leur interminable périple vers les pays plus riches de l’Europe de l’Ouest.

Article publié par IRIN, le 14 octobre 2013. Cliquez ici pour lire l’article original sur le site de l’IRIN.

Le ministre de l’Intérieur bulgare, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Agence européenne pour la gestion de la coopération aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, FRONTEX, ont enregistré un nombre croissant de migrants et de demandeurs d’asile en Bulgarie.

Mohammed Ibrahimi, 35 ans, espère les rejoindre.

Ce réfugié palestinien originaire de Jénine, en Cisjordanie, a traversé une Syrie dévastée par la guerre, allant « de mosquée en mosquée en évitant de parler de politique ou d’exprimer ses opinions ».

Résidant aujourd’hui à Istanbul, il cherche de l’argent pour continuer son voyage vers la Bulgarie.

« Quand on n’a rien à perdre, on prend beaucoup de risques », a-t-il dit.

Il prévoit de franchir la frontière turco-bulgare à pied par l’est, en profitant de la couverture forestière dense, avant de poursuivre sa route vers la Serbie, la Hongrie et l’Autriche.

« Je vais essayer de m’installer dans un pays correct […] Je ne suis ni le premier ni le dernier à le faire comme ça ».

[caption id="attachment_12211" align="aligncenter" width="819"]Le fleuve Evros, qui détermine la frontière entre la Turquie et la Grèce Photo: Alberto Campi, 2013 Le fleuve Evros, qui détermine la frontière entre la Turquie et la Grèce
Photo: Alberto Campi, 2013[/caption]

Mais M. Ibrahimi pourrait bien échouer : en 2011, l’Autriche a signé un accord avec la Serbie et la Hongrie afin de limiter ce qu’ils appellent « l’immigration illégale » dans l’Union européenne. Plusieurs pays de l’UE ont recours à ce que l’on appelle « l’externalisation » – signer des accords avec des pays frontaliers de l’UE comme le Maroc, la Libye ou la Serbie afin de s’assurer que les migrants n’atteignent jamais leur pays.

Selon le vice-premier ministre, Tsvetlin Yovchev, 5 815 personnes ont tenté d’entrer en Bulgarie clandestinement au cours des neuf premiers mois de l’année 2013, ce qui veut dire que le nombre d’entrées clandestines a été multiplié par sept par rapport à la même période l’année précédente. Sur le seul mois de septembre, 2 377 personnes ont été détenues à la frontière turco-bulgare, dont 1 635 Syriens.

« Cette année, la Bulgarie a déjà reçu environ 3 000 demandes d’asile, déposées par des personnes originaires principalement du Moyen-Orient et de l’Afrique », a dit Melissa Fleming, porte-parole en chef du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans une note d’information rendue publique le 17 septembre. « C’est trois fois la moyenne annuelle observée durant la dernière décennie. Le mois d’août a vu une forte hausse d’environ 50 nouveaux arrivants par jour (principalement des familles syriennes) ».

Dans son analyse annuelle des risques 2013, FRONTEX note une augmentation du nombre de migrants se tournant vers la Bulgarie : « En 2008, le nombre de détections à la frontière terrestre entre la Turquie et la Bulgarie était faible. La situation a changé en 2012, lorsque le nombre total de migrants appréhendés a été multiplié par environ quatre. Cette augmentation est liée au renforcement des contrôles à la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie ».

Des choix difficiles en Grèce

Il y a cinq ans, il était relativement facile pour les migrants de trouver un emploi légal et un logement décent en Grèce, a dit Jelena Vujanovic, anthropologue serbe spécialiste des questions de migration ; elle travaille au centre de protection des migrants de Thessalonique, la deuxième ville de Grèce.

« C’est en 2011 que les choses ont commencé à changer. La Grèce est devenue dangereuse pour les demandeurs d’asile, les réfugiés ».

Tout d’abord, a-t-elle indiqué, les passeurs ont commencé à exiger davantage d’argent, car ils se sont rendu compte que de plus en plus de personnes arrivaient. Ensuite, les migrants ont commencé à craindre les attaques du parti politique d’extrême droite Aube dorée, dont les dirigeants ont été accusés d’avoir tué un musicien antifasciste.

« Aube dorée mène une grande propagande [contre] tous ces réfugiés, ces migrants », a dit Mme Vujanovic. « Ils disent qu’ils ont détruit ce pays. Ce n’est pas de leur faute. C’est la faute du système, car il n’y a pas de système, ils n’ont pas d’avocats, pas de traducteurs. Quand vous êtes un réfugié en Grèce, il s’agit juste d’une étape, car ce n’est pas un pays dans lequel vous avez envie de vivre ».

Les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés bloqués en Grèce sont confrontés à des choix difficiles, a-t-elle dit.

« Vous avez deux choix : [soit] vous mourrez ici, car personne ne vous viendra en aide – il n’y a pas d’institutions publiques, pas d’organisations non gouvernementales (ONG), rien – vous mourrez ici ou vous essayez de survivre. Vous en viendrez à voler dans la rue ou à vendre des produits de contrebande ».

Mouvements transfrontaliers

D’après Mme Vujanovic, les informations selon lesquelles la Grèce est un pays sans aucune perspective d’avenir sont parvenues aux oreilles des candidats à la migration alors qu’ils étaient en route pour le Nord ou encore dans leur pays d’origine, et cela les a convaincus de changer de destination.

La majorité des migrants gagnent l’UE par voie maritime. Selon Ewa Moncure, attaché de presse de FRONTEX, plus de 20 000 migrants ont effectué la traversée périlleuse depuis l’Afrique du Nord vers la petite île italienne de Lampedusa (au large de la Tunisie) et la Sicile cette année. Mais les migrants qui se déplacent par voie terrestre sont de plus en plus nombreux à se tourner vers la Bulgarie.

Les migrants et les demandeurs d’asile qui quittent les pays d’Orient pour gagner l’Europe par voie terrestre suivent deux routes principales. La première route est empruntée par les migrants en provenance d’Afghanistan, du Pakistan, d’Iran, d’Irak ou de Syrie : ils traversent la Turquie puis la Bulgarie ou la Grèce pour rejoindre les Balkans, l’Italie et enfin l’Europe de l’Ouest. La seconde route fait passer les migrants par la Roumanie puis la Hongrie et l’Autriche ou la Slovaquie et la République tchèque pour rejoindre l’Allemagne.
Dans les deux scénarios, la Turquie joue le rôle de pont entre l’Orient et l’Occident ; et c’est en arrivant dans ce pays que les migrants choisissent de rejoindre la Bulgarie ou la Grèce.

« Les demandeurs d’asile qui arrivent en Bulgarie ne passent certainement pas par la Grèce », a dit Ariane Rummery, porte-parole du HCR en Europe centrale. La majorité des migrants transitent par la Turquie, a-t-elle indiqué, et mettent plusieurs jours à trouver un passeur qui les amènera jusqu’à Istanbul ou Edirne, ville située à 240 km au nord-ouest d’Istanbul. Ils sont ensuite emmenés à environ 10 km de la frontière, généralement à l’est du village frontalier de Kapitan Andreevo, en Bulgarie. La majorité des migrants qui voyagent à pied depuis la Turquie arrivent près des villages bulgares d’Elhovo et de Bolyaravo, à environ 30 km de la frontière. « Ils passent la frontière sans guides », a-t-elle ajouté.

Des déplacements de clandestins traversant les forêts denses qui couvrent la moitié est de la frontière turco-bulgare pour rejoindre la région du massif montagneux de la Strandja ont été signalés. Selon le site d’information en ligne Press Europ, bon nombre de migrants et de demandeurs d’asile, y compris, mais pas exclusivement, des Syriens, ont traversé le petit village rural de Golyam Dervent, situé dans une clairière non loin de la frontière.

Des Irakiens, des Afghans et des Maliens ont également emprunté cette route, a dit Mme Rummery.

Dans l’incertitude à Istanbul

À Istanbul, des passeurs kurdes ont dit aux journalistes d’IRIN que les migrants devaient payer entre 6 000 et 8 000 dollars pour rejoindre l’Italie, et plus de 20 000 dollars pour un passage, en théorie sûr, au Royaume-Uni. Ces frais incluent la fourniture de faux documents et le transport. Ils ont également indiqué que des policiers corrompus donnaient des documents, mais cette information n’a pu être vérifiée.

La majorité des migrants qui voyagent par voie terrestre ont en général moins d’argent que les migrants qui dépensent des sommes importantes pour voyager par voie aérienne ou maritime. Ils sont moins susceptibles de donner de l’argent aux passeurs pour obtenir de faux documents ou s’assurer un passage de frontière sans danger. Ils sont également plus susceptibles de mettre leur vie en danger – et notamment de parcourir de longues distances avec des provisions limitées ou de se cacher dans des espaces clos, comme des moteurs de véhicules, risquant ainsi une intoxication au monoxyde de carbone.

Les détections observées par FRONTEX au cours de l’année 2013 montrent que les migrants les plus pauvres sont souvent emmenés en Bulgarie par des travailleurs invités d’origine turque, avec leur consentement ou à leur insu. Trois ou quatre personnes sont appréhendées aux postes frontière chaque jour durant la haute saison des migrations, au printemps ou en été. Ceux qui réussissent à rejoindre la Bulgarie se retrouvent dans le pays le plus pauvre de l’UE, où les conditions de vie ont récemment été décrites comme étant « dangereuses et extrêmes » par Mme Flemming, du HCR.

Barnabe Pouya, 28 ans, ambitionne de devenir footballeur. Il a abandonné ses études entamées au Burkina Faso (son pays natal) dans le domaine de l’électronique industrielle en raison d’un manque de moyens, et dans l’espoir de jouer au football en Turquie.

« J’ai vendu mes récoltes [et avec] l’aide d’un homme au Burkina Faso, j’ai pu [réunir] mes papiers pour prendre l’avion ».

À son arrivée en Turquie, il a contacté un entraîneur de football dont on lui avait donné l’adresse. On lui a dit qu’il aurait une place dans une équipe de football s’il versait une somme d’argent.

« Je n’ai pas hésité. J’ai donné l’argent et il a disparu », a dit M. Pouya.

Sa situation est particulièrement désespérée, car il n’arrive pas à trouver de travail. Selon lui, cela est lié au fait qu’il s’est déclaré chrétien quand des employeurs potentiels lui ont demandé quelle était sa religion : « La situation est devenue très difficile pour moi », a-t-il dit. « Je me sens seul dans ce pays ».

Il essaye désormais de trouver un moyen de rejoindre le Royaume-Uni, la Belgique ou la France.