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Le Courrier | Ils sont abandonnés par la société

Un rapport mandaté par le Conseil d’Etat recommande de renforcer la prise en charge des enfants demandeurs d’asile non accompagnés.

Il y a plus d’un demi-siècle, l’ONU adoptait la Convention des droits de l’enfant. La journée du 20 novembre leur est depuis lors dédiée. C’est l’occasion de rappeler que les conditions d’accueil des requérants d’asile mineurs ne sont pas acceptables à Genève, en particulier s’agissant des enfants non accompagnés (RMNA). Une task force spéciale en atteste dans un rapport publié la semaine dernière par le Conseil d’Etat. Elle préconise un renforcement rapide des moyens d’encadrement et la mise sur pied d’un lieu d’hébergement adapté à cette catégorie particulière de réfugiés. Ce groupe de travail interdépartemental a été mandaté en mars 2013 par le gouvernement, à la suite d’une visite du conseiller d’Etat Charles Beer au foyer de Saconnex. Le politicien avait été frappé par la réalité quotidienne des enfants et des jeunes adultes demandeurs d’asile. «Leurs conditions de vie doivent changer radicalement, dans la mesure où elles sont soit défaillantes soit insuffisantes. Les moyens sont clairement insuffisants, tant du point de vue du logement que de l’encadrement», souligne le magistrat socialiste.

Des ados livrés à eux-mêmes
A la suite du rapport, l’Etat a pris deux mesures urgentes: le renforcement de l’accompagnement scolaire (lire ci-dessous) et la création d’un poste d’éducateur. La task force a en effet pointé un taux d’encadrement très limite. L’équipe actuelle, composée uniquement d’assistants sociaux, n’a pas les moyens de proposer un suivi social complet tant du point de vue individuel que collectif. Elle doit être impérativement complétée d’éducateurs pour assurer le rôle de «référant parental». Les activités extrascolaires sont quant à elles presque inexistantes. «Ces lacunes ont un impact sur leur possibilités d’apprentissage et d’intégration», remarque Christina Kitsos, chargée des affaires migratoires au Département de l’instruction publique et coordinatrice de la task force. En termes de vie communautaire et de loisirs, la trentaine de RMNA logeant au foyer de Saconnex est donc plus ou moins livrée à elle-même dès la fin de l’école. Seule présence adulte le soir et les week-ends, un securitas surveille l’aile dans laquelle ces jeunes sont hébergés d’après le rapport. «Ils sont complètement seuls dès 17h30, alors que ce sont des adolescents comme tous les autres, qui ont besoin d’une présence constante pour se lever le matin, se faire à manger, etc.», commente le psychologue Philippe Klein. Membre d’Appartenances et de la Coordination asile, il suit une partie de ces jeunes dans sa consultation. «Il y a régulièrement des tentatives de suicide», poursuit-il. En quête d’identité, ces enfants ont souvent été confrontés à des événements traumatiques, lors de leur voyage par exemple. «Il ne faut pas oublier qu’ils ont laissé des cadavres derrière eux.» Tous les cas ne sont heureusement pas problématiques, mais un certain nombre de RMNA souffrent de dépression et/ou glissent dans la consommation et le trafic de drogue.

Le foyer de Saconnex inadapté
Dans ce contexte, la question du lieu de vie est centrale, estime la task force. Ancien bâtiment administratif, le foyer de Saconnex accueille actuellement cent trente enfants et adolescents sur trois cent cinquante personnes. Il est inadapté et leur sécurité n’est pas garantie. «Avec dix-huit portes d’entrée, les lieux ne permettent pas de contrôler les allées et venues de chacun, observe Mme Kitsos. Il manque également des salles communes, comme un réfectoire pour prendre les repas ensemble, ce qui ne favorise pas le développement d’un sentiment d’appartenance.» Ces carences amènent le groupe de travail à suggérer un lieu spécifique permettant de mieux séparer filles et garçons tout en évitant de les mélanger aux requérants adultes. «Nous recommandons de reconstruire le foyer de Saconnex ou de créer un nouveau lieu», ajoute la coordinatrice. Tout en soulignant la nécessité d’une approche globale. Elle donne l’exemple de Vaud et du Valais, bien mieux dotés en la matière.

«Ce sont d’abord des enfants»
«En mettant le doigt sur des problèmes ignorés depuis longtemps, ce rapport est courageux», réagit Philippe Klein. Il aurait cependant souhaité qu’il aille plus loin: «Les RMNA continuent d’être approchés comme des requérants d’asile, alors qu’ils sont d’abord des enfants.» Dans le cadre de la Coordination asile, il participera aux prochains travaux de la task force. Celle-ci doit rendre au printemps 2014 un second rapport sur la mise en œuvre des recommandations. En voie de terminer son mandat, Charles Beer est certain que le futur gouvernement en fera une de ses priorités. «Il s’agit de respecter les droits humains. Ces jeunes sont abandonnés par la société.»

Par Pauline Cancela, Le Courrier, Mercredi 20 novembre 2013