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Notre regard

CSI | La triste histoire de A.

Témoignage publié dans L’1Dex, le 29 octobre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site L’1Dex

Rédigé par Françoise Jacquemettaz – Centre Suisse-Immigrés

A. est venue en Suisse une première fois avec ses parents il y a de cela plusieurs années. A. et son père ont été mis en mesure de contrainte en vue d’un refoulement vers le Kosovo. La jeune fille avait alors 15 ans. Leur détention a duré quelque deux mois avant que la famille au complet ne soit rapatriée vers son pays d’origine.

Revenue en Valais suite à un mariage arrangé par sa famille, l’union n’a duré que très peu de temps, la jeune femme ayant été victime de graves violences domestiques. Elle rencontre alors un homme qui se dit prêt à la protéger et avec lequel elle noue une relation. Tombée enceinte, elle se retrouve seule à gérer sa grossesse et accouche en avril 2008 d’une petite fille. Elle vit seule avec sa fille durant deux ans et assume son entretien et son éducation. Dans l’intervalle, le permis B obtenu suite à son mariage n’est pas renouvelé, donc son séjour en Suisse n’est plus légal. Elle dépose une demande d’asile en juin 2011, d’une part en raison des persécutions dont sont victimes les Roms au Kosovo et d’autre part, son état de mère célibataire risque de générer des mesures d’exclusion du clan familial. Dès la paternité de l’enfant reconnue, les ennuis commencent pour A. La garde de la fillette est attribuée au père au motif notamment que son permis de séjour en Suisse est stable contrairement à celui d’A. et que cette dernière n’est pas en mesure d’assumer l’éducation de son enfant. Les contacts d’ A. avec sa fille deviennent problématiques, le père se montrant réticent au droit de visites accordé à la mère à tel point que l’Office des mineurs organise des rencontres sous l’égide du Point Rencontre. L’association relève dans son rapport que l’enfant, âgée à l’époque de 3 ans, a besoin de sa mère.  A. respecte les consignes fixées et la durée des rencontres est élargie, compte tenu de son comportement positif et de sa bonne relation avec sa fille.  Rappelons encore qu’elle s’en est occupée personnellement durant 2 années et qu’un lien fort s’est créé pendant cette première période de la vie de l’enfant.

Sa demande d’asile ayant été refusée en mai 2013, une requête visant à examiner la situation de la jeune femme sous l’angle de l’art.8 du la CEDH (principe d’unité de la famille), en demandant que lui soit accordé le regroupement familial avec sa fillette âgée de 5 ans est adressée au Service de la population et des migrations (SPM). Est également invoquée la lecture du cas sous l’angle de l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que préconisé par la Convention relative aux droits de l’enfant. Cette requête est refusée par le SPM au motif notamment que la garde de la fillette est confiée au père et que le lien affectif entre la mère et l’enfant « n’est pas particulièrement fort en raison de son absence de moyens financiers. » Absence de moyens qui s’explique par l’interdiction d’exercer une activité rémunérée faute d’autorisation de séjour valable. Un recours est déposé auprès du Conseil d’Etat valaisan, mais cette demande, qualifiée de procédure extraordinaire, ne stoppe pas les démarches entreprises par les autorités valaisannes chargées de l’exécution du renvoi. Ainsi, il y a un mois, la Police intervient à 3 heures du matin (6 agents à l’intérieur de l’immeuble et 2 qui attendent à l’extérieur),  enfonce la porte de son studio, et emmène A. à l’aéroport. Elle refuse de monter dans l’avion qui doit la rapatrier au Kosovo, elle ne partira pas, elle veut vivre là où vit sa fille. Ramenée en Valais, elle réintègre son domicile. L’Office de protection de l’enfant décide d’élargir le droit de visite, notamment au vu de l’excellente relation affective entre la mère et sa fille. Ainsi, la petite pourra enfin dormir un soir par semaine chez sa mère. Le père recourt contre cette décision.

Mercredi 16 octobre, nouvelle intervention de la police, A. est incarcérée à la prison de Martigny en vertu des mesures de contrainte. Elle comparaît devant le Juge habilité à confirmer la détention deux jours plus tard, soit vendredi. La soussignée est présente lors de l’audition. La jeune femme répète qu’elle veut vivre auprès de sa fille, qu’elle ne peut envisager une séparation qui sera certainement définitive, que sa fille a besoin d’elle et elle de sa fille. Pour ma part, je relève que je ne peux admettre qu’une mère soit séparée de son enfant, que par ailleurs un renvoi au Kosovo implique qu’A. ne reverra plus  jamais sa fille. D’une part, en raison de la probable interdiction d’entrer en Suisse qui sera prononcée, mais également pour des raisons financières au cas où un éventuel sauf-conduit lui serait octroyé. Rappelons ici l’appartenance de la famille d’A. à la communauté rom, communauté qui vit dans une extrême pauvreté. Comment envisager l’achat d’un billet d’avion pour venir en Suisse ? A cela s’ajoute que le père va certainement s’opposer à une rencontre si l’on tient compte du recours déposé contre l’élargissement du droit de visite.

Par arrêt du 21 octobre (lundi), le Juge confirme les mesures de contrainte. Mardi matin, aux premières heures, A. est  embarquée de force et ramenée par « vol spécial », en compagnie d’autres compatriotes, à Pristina, cela vraisemblablement sans qu’elle n’ait eu droit au contrôle médical pourtant recommandé par le Juge lors de sa comparution.

La loi a été appliquée dans toute sa splendeur, le père de l’enfant a gagné le combat mené contre la mère de son enfant. Pour ma part, je suis profondément écœurée par tant de violences exercées à l’encontre d’une jeune femme dont le seul délit est de refuser de quitter la Suisse sachant pertinemment que, ce faisant, elle ne verra plus sa fille. Et je suis  également  profondément indignée par le fait que personne ne proteste devant des agissements qui sont à mon sens indignes d’un Etat de droit.