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RFI | «En Erythrée, le bilan des droits de l’homme est sombre»

Selon les Nations unies, près de 3 000 migrants érythréens tentent, chaque mois, de gagner l’Europe au péril de leur vie. Ils fuient un pays où les droits de l’homme sont piétinés. Sheila Keetharuth est le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’Homme en Erythrée. Elle revient d’une mission de dix jours à Malte et en Tunisie où elle a rencontré des Erythréens dans des camps de réfugiés. Une mission qu’elle raconte à Nicolas Champeaux.

Article de Nicolas Champeaux, paru sur le site de Radio France Internationale, le 26 novembre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de RFI.

RFI : Vous avez rencontré des migrants érythréens qui ont risqué leur vie pour quitter leur pays. Ils ont échappé à la noyade en Méditerranée pour la plupart. Ces rescapés, selon vous, sont-ils conscients des risques encourus lors de ces traversées ?

Sheila Keetaruth : Oui. Il y a même un de ceux à qui j’ai parlé, qui m’a dit : «nous sommes très conscients des risques associés à la traversée, que ce soit du désert ou de la mer, personne dans son bon sens ne prendra une une telle décision. Mais nous le faisons parce qu’il n’y a plus de choix».

Pourquoi estiment-ils justement qu’ils n’ont rien à perdre ?

La plupart de ceux que j’ai rencontrés sont surtout des jeunes hommes qui m’ont expliqué que c’est avant tout le service national, d’une durée indéterminée, qui a été la principale raison (de leur émigration NDLR). Il y a ceux, par exemple, qui disent qu’après un moment ils n’en pouvaient plus. Ils veulent s’en aller, etc. Et à chaque fois, au moment où ils sont repris, c’est encore une fois les arrestations, les exactions, les tortures. Ils se sentent impuissants pour changer les choses.

En chemin pour l’Europe, certains migrants érythréens sont parfois capturés ou tués par des gens impliqués dans le trafic d’organes ou vendus comme esclaves ?

Je n’ai pas enquêté sur ce volet. Ceux que j’ai rencontrés sont ceux qui ont quitté l’Erythrée ; (ils sont) passés soit par l’Ethiopie ou le Soudan et ensuite ont traversé le désert pour arriver en Libye et continuent par la suite par mer. C’est surtout des rescapés et ils ont été recueillis, soit à Malte ou en Tunisie. Je n’ai pas eu l’occasion d’enquêter sur cet aspect.

Et savez-vous combien de temps il leur faut pour aller de l’Erythrée justement, à la mer Méditerranée, et une idée de la somme qu’ils versent aux différents passeurs ?

J’ai eu toutes sortes de témoignages. Ceux qui ont fait la traversée de leur pays jusqu’à la mer dans une année, une année et demie. Mais il y a aussi ceux qui ont travaillé un peu plus longtemps et ont trouvé des moyens pour arriver jusqu’à la mer. Et là aussi les sommes varient. Ça passe de 600 euros à plus. Mais ça c’était avant, ceux qui sont passés bien avant. En ce moment ça a augmenté. Donc ça dépend…

Y a-t-il des pays qui refusent d’accorder l’asile aux Erythréens, et si oui quel est le massage que vous souhaitez leur adresser ?

Il y a bien sûr des accords bilatéraux entre différents pays qui demandent à ce que les Erythréens retournent chez eux. Et là, je dirais que les pays tiers qui permettraient aux Erythréens d’être renvoyés dans leur pays d’origine, qu’ils risquent au retour d’être à nouveau victimes de persécutions de tortures, de traitements inhumains…

Et quels sont ces pays précisément ?

Pour l’instant, il y a différents accords, mais c’est un peu difficile de dire si les accords sont mis à exécution. Mais je demande qu’il soit mis fin à ces accords bilatéraux.

Parce que vous n’avez pas pu vous rendre en Erythrée, malgré des demandes renouvelées, mais vous avez néanmoins réuni une masse d’informations sur la situation des droits de l’homme là-bas. Quel bilan dressez-vous ?

Le bilan est sombre. Ce sont toujours les mêmes problèmes autour de disparitions, de tortures, de conditions de détention déplorables, le droit à l’information et à l’expression. Il y a au moins une dizaine de journalistes qui ont été arrêtés. Ceux qui ont d’autres idées, qui veulent voir les choses différemment, qui posent des questions ont eu à quitter l’Erythrée. Les femmes qui se retrouvent lors du service militaire, sont plus vulnérables, ont des risques quand même, d’abus sexuel.

Voir aussi notre chronique monde « Érythrée | La guerre, un instrument de répression« , publié dans Vivre Ensemble, numéro 129.