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Philippe de Bruycker | « Les Etats restent responsables en haute mer »

«Les États restent responsables en cas de demande d’asile [en haute-mer]» explique, dans une entretien accordé à B2, Philippe de Bruycker, un des meilleurs spécialistes des questions de droit de l’immigration, professeur à l’ULB, l’Université libre de Bruxelles, et titulaire de la Chaire Jean Monnet de droit européen en matière d’asile et d’immigration. La Haute-Mer n’est ainsi pas un «no man’s land juridique» contrairement à ce qui est parfois dit. Et la loi du pavillon reste, du moins en théorie juridique, la seule applicable, même lors d’une opération Frontex. Une analyse qui contredit le point de vue de la Commission.

Billet publié dans le blog Bruxelles2.eu, le 23 octobre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de B2.

Dans une opération Frontex, quand un rescapé demande l’asile sur un bateau belge,  la Belgique a t-elle la responsabilité de traiter la demande?

Frontex n’a qu’un rôle extrêmement limité. L’agence ne fait que coordonner les opérations. Les États restent responsables pour ce qui les concerne. Ainsi, dans le cadre d’une opération Frontex, c’est la loi du pavillon qui s’applique en cas de demande d’asile. Et la loi du pavillon, c’est le droit belge. Ça ne veut pas dire que dans le droit belge, il n’existe pas de disposition spécifique pour les personnes qui viendraient à demander l’asile. Mais à mon avis, il n’y en a pas. Il n’y a que le droit commun pour les demandes qui sont introduites sur le territoire.  (NB :  dispositions de la loi belge du 15 décembre 1980). La Haute mer n’est pas un no man’s land juridique. Un bateau belge est au fond un territoire belge et relève ainsi de la responsabilité de l’État belge. C’est pour ça qu’il y a une frontière très ambiguë entre, d’une part, les opérations d’interceptions de lutte contre l’immigration illégale et, d’autre part, les opérations de sauvetage.

• Quelle est alors la responsabilité des États en cas de sauvetage en mer?

Chaque Etat a la responsabilité de surveiller des zones de sauvetages qui ont été définies en vertu des conventions internationales et d’envoyer des secours dans ces zones de sauvetage. Mais on sait très bien que certains États ne l’appliquent pas (totalement). Parce qu’évidemment, une fois qu’ils ont les personnes à leur bord, ils en deviennent responsables.

• Si une personne fait une demande d’asile, ils sont donc obligés de la traiter?

Oui. En pratique, cela est encore plus compliqué. On imagine assez mal commencer une procédure d’asile sur un bateau. Toute la difficulté tient au mélange entre la lutte contre l’immigration illégale d’un côté et la protection internationale, l’asile de l’autre. Du moment où vous sauvez des gens en mer, potentiellement, ce sont des demandeurs d’asile. En vertu du droit maritime, vous pourriez les débarquer dans le port sûr le plus proche, mais au sens du droit maritime. Un port sûr au sens du droit maritime, c’est un port où leur vie n’est pas en danger en raison de la mer. Il n’y a pas de références directes au droit du réfugié.

• Dans quel port, le demandeur d’asile peut-il alors être débarqué?

Il ne peut pas être renvoyé vers un État de persécution sans examen de sa demande. Ce qui est prohibé, c’est d’abord le refoulement direct vers l’État de persécution. On ne peut pas renvoyer un Somalien en Somalie.  On ne peut pas non plus renvoyer indirectement quelqu’un. Par exemple, on ne peut pas renvoyer en Libye, un Somalien qui risquerait d’être renvoyé par la Libye vers la Somalie. Et plus encore, on ne peut pas renvoyer quelqu’un, dans un pays où il n’aurait pas la possibilité de demander l’asile, ni droit à une procédure d’asile et où il ne bénéficierait pas de conditions d’accueil décentes. (NB: Arrêt Hirsi)

• Dans le ‘Code  frontières Schengen’, est-ce qu’il a des dispositions qui affirment que l’État du pavillon ne serait pas responsable des demandes d’asile?

Au contraire, le ‘Code frontières Schengen’ prévoit d’être « sans préjudice du droit d’asile ». On ne peut pas se prévaloir du ‘Code frontières de Schengen’ pour se soustraire à des obligations en matière d’asile. D’ailleurs, on discute actuellement d’un amendement (à ce code) sur proposition de la Commission européenne. Il y a effectivement la délicate question du port de débarquement qui se pose. Il existe déjà des conflits avec l’Italie et Malte qui ne sont pas d’accord avec les règles proposées.

(propos recueillis par Loreline Merelle)

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