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Notre regard

Déléguer les yeux fermés?

La restructuration du domaine de l’asile, avec la création de grands centres fédéraux, prévoit de confier de plus en plus de tâches à des prestataires externes: hébergement, encadrement, certaines étapes de la procédure d’asile, soins, détention, sécurité, etc. Ce qui pose la question des contrats qui scellent ces mandats, du type de prestataires mandatés (but lucratif ou non-lucratif), de leurs compétences et également du contrôle de leurs activités, dans la mesure où ils effectuent des tâches de service public et qu’ils touchent une population particulièrement vulnérable. De récents dérapages (1) émanant d’une société de sécurité à Neuchâtel –codirigée par Yvan Perrin aujourd’hui Conseiller d’État– et de l’entreprise ORS ont montré ce besoin de limites et de contrôle. Car le pouvoir d’autorité mis dans les mains des employés de ces entreprises sur des hommes, femmes et enfants comporte une responsabilité. A la hauteur des risques d’abus d’un tel pouvoir, a fortiori lorsque ces employés pourront frapper du sceau «récalcitrant» des comportements jusqu’ici peu définis. La formation et surtout un cadre légal sont ici primordiaux.

Est-il légitime de confier à des entreprises dont l’objectif est de dégager des bénéfices la mission de loger, habiller et nourrir des demandeurs d’asile, étant entendu que ce prestataire reçoit un forfait par personne (ou famille), dont le montant est incompressible, puisqu’il se situe déjà en dessous du minimum vital? Sur quel aspect peut-il dégager un bénéfice?

A contrario, il y a des tâches pour lesquelles le mandat doit être effectué par des prestataires totalement indépendants de l’autorité. Ainsi de l’observation des vols spéciaux assurée aujourd’hui par la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT), de l’accompagnement médical de ces renvois forcés, ou encore de l’intervention des médecins dans des lieux de détention. Se posent alors des questions éthiques fondamentales, notamment sur le rôle du médecin et de son rapport à l’autorité qui le mandate.

Nous tentons aujourd’hui de mettre en lumière quelques uns des enjeux d’une privatisation qui, lorsqu’elle est nécessaire, se doit d’être cadrée, transparente et mue non pas par le désir de profit, mais de bien public.

Sophie Malka


Note:

(1) Lire nos éditions 138, 140 et 142