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Le Courrier | Expulsée sans sa fille

VALAIS • Les milieux de défense des migrants dénoncent le renvoi forcé d’une jeune femme kosovare, expulsée alors que sa fille demeure en Suisse.

Article de Laura Drompt, publié dans le Courrier, le 11 décembre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Lire également le récit de cette histoire publiée sur notre site le 23 novembre 2013

Le cas d’Ardita M. a ému le Valais. A la suite d’un divorce, elle s’est trouvée coup sur coup renvoyée de force et séparée de sa fille. La jeune femme kosovare de 24 ans a été expulsée à bord d’un «vol spécial» le 22 octobre dernier. Sa fille, âgée de 5 ans, est quant à elle restée en Suisse. Nicole Michel, coordinatrice au Centre Suisses-immigrés de Sion, s’offusque: «Est-il normal de séparer de manière presque définitive une petite fille de 5 ans de sa mère?»

Version contradictoire
Aujourd’hui en contact téléphonique régulier avec Ardita M., Nicole Michel s’inquiète: «Elle est désespérée, elle se sent en insécurité, et sa fille lui manque terriblement.» Les propos de la coordinatrice vont dans le sens d’une interview, parue dans Le Nouvelliste le 29 novembre. La mère y expliquait qu’à chaque téléphone, sa fille demandait quand elles pourraient se voir à nouveau.
Mais quelques jours plus tard, le quotidien valaisan publiait la version contradictoire du père, Vito A. Selon lui, depuis l’expulsion, Ardita M. n’aurait appelé que deux fois, brièvement, sans nouer de réel dialogue. En outre, il rappelle que l’enfant vivait chez ses grands-parents depuis plusieurs années.
Actuellement, une procédure est en cours auprès du Conseil d’Etat. Ardita M. lui a demandé de se positionner sur la décision du Service de la population et des migrations (SPM), qui avait refusé un regroupement familial inversé. Au nom de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui garantit la protection de la vie familiale, la jeune femme avait demandé à pouvoir rejoindre sa fille en Suisse. Comme le confirme Jean-Marie Cleusix, secrétaire général du Département de la formation et de la sécurité géré par Oskar Freysinger, ce recours n’a aucun effet suspensif sur l’expulsion d’Ardita M.
Cela explique comment cette mère a été séparée de sa fille avant même que son cas ne soit réglé par les autorités. Certains cantons, comme Genève, préfèrent rester souples et évitent pareilles situations. «De toute façon, complète M. Cleusix, quelle que soit la décision du Conseil d’Etat, il n’aurait aucune compétence pour attribuer un droit de séjour à cette personne. Tout au plus, le cas serait-il renvoyé à l’Office fédéral des migrations (ODM).» Jean-Marie Cleusix indique que le Conseil d’Etat ne donnera pas plus de précisions sur cette affaire.

Droit de visite
Aucun renseignement ne filtre non plus du Point Rencontre de Sion, un lieu d’accueil pour l’exercice du droit de visite qui surveillait les rendez-vous accordées à Ardita M. auprès de sa fille. Car, si elle s’en est occupée durant trois ans, c’est le père qui en a obtenu la garde dès 2011. Mère et fille se rencontraient seulement lors de visites gérées par cet organe. Selon Nicole Michel, ces rendez-vous se déroulaient paisiblement et la mère et l’enfant avaient développé un fort lien affectif. Selon des rapports du Point Rencontre, dont des extraits ont été cités par téléphone au Courrier, il serait évident qu’Ardita M. méritait un droit de visite. Mais d’après une source proche des autorités, la version du père serait plus crédible.
Mise au courant de ce cas, Denise Graf – coordinatrice d’Amnesty pour les droits humains en Suisse – se dit révoltée. Elle appelle les autorités à considérer l’intérêt supérieur de la fille d’Ardita M. «Il est inacceptable de renvoyer cette mère tant que son recours n’est pas réglé. Selon la Convention relative aux droits de l’enfant, tout doit être mis en œuvre pour qu’un enfant vive avec ses deux parents. Si un lien émotionnel existait avec sa mère, elles doivent entretenir des rapports réguliers. Il faut assurer un droit de visite en Suisse à la mère.»
A l’ODM, on indique avoir pris en compte l’article 8 de la CEDH. «Un renvoi n’exclut pas le droit de visite ni le dépôt d’une demande d’autorisation de séjour», précise Céline Kohlprath, porte-parole de l’ODM. Ainsi, Ardita pourra-t-elle espérer une autorisation de séjour, à la condition de démontrer qu’elle «entretient des relations étroites avec son enfant».