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Notre regard

Editorial | Des petites gouttes d’eau

Joyeux Noël? Il n’est pas toujours facile de parler d’asile la plume et le cœur légers. Pour accompagner ce dernier numéro de l’année, nous avions envie de voir le verre à moitié plein. L’asile est en effet une question avant tout humaine. Pourquoi s’engage-t-on sur ce terrain-là? Ou pourquoi ce terrain-là nous donne-t-il envie de nous engager?

Chacun-e aura une ou plusieurs réponses. Qu’il ou elle puisera dans son histoire personnelle, dans une rencontre, dans un parcours de vie. Dans une quête de compréhension du monde qui l’entoure, aussi.

Deux artistes, une policière, un jeune civiliste, nous offrent dans ce numéro leur regard sur ce monde de l’asile. Toutes et tous manifestent d’un refus de l’indifférence et du repli sur soi. D’un refus de se laisser porter par la facilité, aussi. Et ils agissent, chacun-e à leur niveau, pour faire entendre une certaine complexité du monde.

Dans une récente tribune publiée dans La Repubblica à propos de l’affaire Taubira, en France , l’écrivain Tahar Ben Jelloun rappelait à quel point «il est plus facile de répandre la haine de l’étranger que le respect de ce qui est différent. L’homme a tendance à se laisser tirer vers les bas instincts surtout quand il a été fragilisé par des situations qu’il n’a pas su ou pu affronter. Le racisme est la paresse de la pensée pour ne pas dire le refus de penser. Il se trouvera toujours quelqu’un pour penser à votre place et à vous simplifier la lecture du logiciel du mal-âtre.»

Nos lecteurs genevois seront sensibles à cette assertion, eux qui ont vu un parti accéder au gouvernement et conquérir le tiers du Parlement sur la construction d’un nouveau bouc-émissaire, le «frontalier». Des frontaliers qui ne se distinguent pas toujours – au vu des résultats électoraux des départements jouxtant la frontière- par leur ouverture à l’autre …

Le vice-président de l’UDC Luzi Stamm, à propos de l’initiative «contre l’immigration de masse», relevait quant à lui que certes, «les abus dans le domaine de l’asile, dans les assurances sociales comme l’AI, sont des thèmes importants, mais ils touchent moins le fondement même de ce qu’est la Suisse. Contrairement à l’immigration.» La voilà la fibre émotionnelle sur laquelle l’UDC compte appuyer d’ici la votation de février: le danger pour l’ «identité» suisse que représentent ces «hordes» d’étrangers qui envahissent la Suisse … Vous voyez le tableau?

L’ignorance et la peur, et leur manipulation, sont les deux mamelles de ce fléau, relevait encore Ben Jelloun. La rencontre, l’information, le savoir, l’éducation, les luttes sociales en sont donc les remparts. C’est pourquoi tout citoyen de ce monde peut, à son propre niveau, ou collectivement, agir pour repousser les limites de l’intolérance.

Il y a quelques semaines, nous avons eu la chance de pouvoir intervenir dans un collège pour expliquer ce qu’est l’asile, tant discuté dans les médias. Nous avons aussi eu la chance d’avoir à nos côtés un jeune homme en procédure d’asile. Un jeune homme qui avait hésité à s’exposer ainsi, car c’est en s’exprimant dans un cadre scolaire que ses ennuis avaient commencé et qu’il avait été conduit à devoir fuir son pays.

Une toute petite goutte d’eau, que nous espérons multiplier, et qui s’ajoute à toutes celles qu’instillent d’autres mouvements, hommes ou femmes, contre la banalisation des préjugés et de la xénophobie. Très belle année 2014 !

Sophie Malka


Notes:

(1) Tahar Ben Jelloun, « Le racisme fait son nid en Europe », La Repubblica, 18 octobre 2013

2 Tribune de Genève, 22 novembre 2013