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Le Courrier | Les cellules familiales pourraient s’avérer illégales

La future prison administrative genevoise de La Brenaz pourra accueillir des familles avec enfants. Illégal selon des experts.

Article publié dans Le Courrier, le 21 janvier 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

En 2017, Genève devrait se muer en hub romand de la détention administrative. Sur les 168 places qu’offrira La Brenaz une fois reconvertie pour remplacer Frambois, plusieurs cellules seront destinées à enfermer des familles (Le Courrier du 27 novembre). Pourtant, rien n’indique que les mesures de contrainte appliquées aux enfants soient légales, surtout s’ils ont moins de quinze ans, contrairement à ce qu’affirment le canton du bout du lac et l’Office fédéral des migrations (ODM). Des experts juristes et des avocats estiment que c’est même clairement illégal.
«La détention administrative de mineurs avec leur famille est dans tous les cas disproportionnée et inadmissible», estime l’avocat spécialisé Jean-Michel Dolivo. En réalité, la Loi sur les étrangers (LEtr) l’admet, mais pour les adolescents de 15 à 18 ans uniquement. Elle dit en effet que «la mise en détention [administrative] à l’encontre d’enfants et d’adolescents de moins de 15 ans est exclue».

Pour des enfants en bas âge

Sans l’interdire, la Convention internationale des droits de l’enfant (CDE) précise quant à elle que la détention pénale ou administrative doit toujours être une mesure de «dernier ressort», «aussi brève que possible», et dans «l’intérêt supérieur de l’enfant». «On peut se demander quel intérêt l’emporte ici, celui de l’enfant ou celui de la politique migratoire?» s’interroge le député vaudois.
Il n’est pas le seul à se poser des questions sur le projet du magistrat Pierre Maudet, avalisé par le Grand Conseil genevois il y a trois mois. Le professeur bernois Alberto Achermann, codirecteur du Centre des migrations à Neuchâtel et vice-président de la commission nationale de prévention de la torture, est également surpris. «Il n’y a aucune base légale dans le droit suisse qui permette la détention de mineurs de moins de 15 ans dans une prison administrative. De ce point de vue, les cellules familiales pourraient s’avérer illégales s’il s’agit d’accueillir des enfants en bas âge», avertit le professeur.
Or c’est bien ce que comptent faire les cantons romands concordataires, futurs clients du centre de Puplinge. Le Département de la sécurité et de l’économie (DSE) le confirme: «Ces cellules serviront à loger des parents avec leurs enfants en bas âge qui refusent de quitter la Suisse après le refus définitif et exécutoire de leur demande d’asile», indique Annick Pont Robert, responsable juridique à l’Office cantonal de la détention.
D’après la juriste, plusieurs textes légaux attestent que la Confédération a toujours pris en compte la possibilité de mettre en détention administrative «des familles entières», un cas qu’il faut distinguer des mineurs non accompagnés. Et d’ajouter que, en tenant compte des besoins des «personnes à protéger», La Brenaz respectera en outre le droit fédéral et supérieur. «Des emplacements pour les jouets des enfants, des lieux de vie communs, des lits adaptés sont par exemple prévus. Il s’agit donc d’une mesure conforme, pour autant qu’elle soit de courte durée.»
Et rarissime, surtout, insiste Céline Kohlprath, porte-parole de l’ODM. «Il n’y a pas violation de la loi, dans la mesure où les enfants sont inclus dans une décision qui vise leurs parents. L’ordre de mise en détention ne saurait en effet être prononcé à l’égard d’un mineur de moins de 15 ans.» Reste que l’écrasante majorité (90%) des jeunes concernés sont «au seuil de la majorité», entre 15 et 17 ans – 183 en 2012 en Suisse.

«Inacceptable et scandaleux»

Mme Kohlprath rappelle que, lorsque les enfants sont plus jeunes, seul le chef de famille est en général mis en détention. Les cellules familiales servent donc à répondre à des exceptions. «Dans des cas minimes, un juge peut décider de mettre en détention une mère seule avec son nourrisson, si le bien-être de l’enfant l’exige.»
De quoi faire bondir nos interlocuteurs. «Dans ce cas, l’intérêt supérieur de l’enfant exigerait plutôt que la mère ne soit pas incarcérée», rétorque Me Dolivo. Cette interprétation du droit fédéral est jugée très dilettante. «C’est clairement un moyen de contourner la LEtr, ce qui est inacceptable et scandaleux! Sauf réglementation contraire, on peut clairement déduire que la détention de jeunes de moins de 15 ans est interdite. Ce qui me semblerait cohérent avec l’interprétation que je fais du droit pénal des mineurs», défend pour sa part Nicolas Queloz, spécialiste du droit des mineurs et professeur à l’université de Fribourg. Selon lui, «il est grand temps que les autorités prennent enfin en compte la Convention internationale des droits de l’enfant.»