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IRIN | Les Ivoiriens réfugiés au Ghana et au Togo craignent des représailles

La peur des représailles empêche les milliers d’Ivoiriens qui ont trouvé refuge au Ghana et au Togo après les violences survenues au lendemain des élections présidentielles de 2010-2011 de rentrer en Côte d’Ivoire.

Article paru dans IRIN, le 22 décembre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’IRIN.

Sur les 12 500 Ivoiriens qui se sont enfuis au Ghana et au Togo, seuls 710 sont rentrés chez eux, selon le Service d’aide aux réfugiés et aux apatrides (SAARA) de la Côte d’Ivoire.

En revanche, un nombre croissant d’Ivoiriens qui s’étaient enfuis au Liberia durant les violences sont revenus dans le pays au cours des derniers mois.

Bon nombre de ceux qui ont trouvé refuge au Ghana sont originaires d’Abidjan, la capitale commerciale de la Côte d’Ivoire, ou d’autres grandes villes. Parmi ces personnes figurent des soutiens du parti du président renversé, Laurent Gbagbo, des membres du mouvement des jeunes, autrefois puissant, de ce parti et des membres de l’association étudiante de l’université. Les personnes qui se sont enfuies au Liberia étaient quant à elles en majorité originaires de l’ouest rural de la Côte d’Ivoire et des villages frontaliers.

« Le processus [de rapatriement] est plus avancé au Liberia qu’au Ghana, principalement en raison du profil des personnes réfugiées dans ces deux pays », a dit à IRIN Ann Encontre, représentante du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Côte d’Ivoire.

« Au Ghana, les autorités et les dirigeants communautaires du pays hôte et du pays d’origine ne montrent malheureusement pas la même implication, et les anciens hauts responsables [du parti de M. Gbagbo] ont parfois une influence dissuasive sur les réfugiés », a dit Mme Encontre.

Timothée Ezouan, coordonnateur du SAARA, a dit : « Les réfugiés n’ont aucune raison de rentrer. Nous devons résoudre les problèmes qui compliquent le rapatriement et supprimer les obstacles qui entravent leur rapatriement sûr et digne ».

Crainte d’enlèvement

Des réfugiés ont dit à IRIN que la principale raison pour laquelle ils ne sont pas encore rentréschez eux est qu’ils ont peur de l’armée ivoirienne. La majorité de ses soldats sont d’anciens rebelles qui ont apporté leur soutien à Alassane Ouattara, qui s’est opposé à M. Gbagbo et qui est aujourd’hui président. L’armée – les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) – a été accusée de mauvais traitements, y compris d’arrestations arbitraires et d’actes de torture.

« Quand vous rentrez chez vous, c’est comme si certaines personnes vous avaient attendu pour vous tuer. Ils attendent un peu avant de venir pour vous. Certains ne rentreront jamais », a dit Bernard Kablan, ancien étudiant et habitant de Youpougon, un quartier pro-Gbagbo d’Abidjan. IRIN l’a contacté alors qu’il se trouvait au Ghana.

« En septembre, trois d’entre nous sommes retournés à Abidjan. Deux soirs, les soldats des FRCI sont venus chez nous. La menace était réelle et nous avons décidé de nous enfuir à nouveau au Ghana. Dans ces circonstances, il est difficile de penser à rentrer, même si nous savons qu’ils peuvent nous retrouver là où nous nous trouvons », a dit M. Kablan.

Adrien Koné, qui s’est présenté comme un fervent partisan du mouvement des jeunes, a lui aussi indiqué qu’il avait dû repartir au Ghana, car il craignait les représailles des troupes des FRCI.

« À Abidjan, j’avais l’impression d’être suivi en permanence. Dans le quartier, des personnes qui disaient appartenir aux FRCI avaient été informées de mon retour. Finalement, je suis resté deux nuit avant de repartir à Accra », a raconté M. Koné.

Mercenaires

Dans un rapport rédigé par un panel d’experts des Nations Unies au début du mois, les autorités ghanéennes ont indiqué que la Côte d’Ivoire avait envoyé des commandos au Ghana pour enlever ou éliminer des exilés pro-Gbagbo et qu’elles avaient réussi à contrecarrer deux tentatives.

Selon le rapport, des personnes exilées au Ghana auraient engagé des mercenaires libanais pour perpétrer des attaques en Côte d’Ivoire, et les autorités ivoiriennes auraient versé plusieurs millions de francs aux mercenaires pour annuler ces attaques.

Les autorités ivoiriennes ont toutefois réfuté ces allégations. « Nous n’accordons pas de crédit à ce qui a été rapporté. Nous n’agissons pas de la sorte et nous attendons de recevoir davantage d’informations sur le rapport », a dit à des journalistes Bruno Nabagné Koné, porte-parole du gouvernement.

Mme. Encontre du HCR a souligné que « ces rapports et ces informations, s’ils ne sont pas corroborés, risquent de dissuader certains réfugiés de rentrer chez eux. Il est important que toutes les parties intéressées agissent de bonne foi, qu’elles montrent leur engagement vis-à-vis du processus de rapatriement et qu’elles dressent un tableau exact de la situation sur le terrain ».

À la fin du mois de novembre, le HCR, les autorités du Ghana et de la Côte d’Ivoire ont tenu une réunion à Abidjan afin d’encourager les retours.

« Nous avons décidé d’intensifier nos campagnes ‘come-and-tell visits’ au Ghana afin de mieux informer les réfugiés sur la situation dans leur pays, en mettant l’accent sur la sécurité, la justice traditionnelle, les conflits liés à la terre, entre autres choses, ainsi que sur la réintégration et le progrès du désarmement », a dit Mme Encontre, notant que seuls une réforme complète du secteur de la sécurité, la mise en place d’un processus de désarmement et de réintégration permettraient d’améliorer la sécurité.

Désarmement et réconciliation

La Côte d’Ivoire se remet tout doucement de la dévastation engendrée par les élections contestées de 2010. Récemment, et pour la première fois depuis le début du conflit, les membres des partis de Messieurs Ouattara et Gbagbo se sont rencontrés pour parler. Mais les deux camps sont toujours en désaccord sur la question de la réconciliation.

Le parti de M. Gbagbo est favorable à l’instauration d’un dialogue national afin de parler de la question de la nationalité, des élections de 2010, de la sécurité et des conflits liés à la terre, entre autres choses, mais le gouvernement indique qu’il n’est pas nécessaire de lancer un dialogue national, soulignant qu’il a invité ses adversaires à entrer au gouvernement, mais que le parti de M. Gbagbo a rejeté cette offre.

M. Ouattara a lancé un appel aux anciens soldats exilés au Ghana et dans d’autres pays voisins, indiquant que s’ils ne rentraient pas en Côte d’Ivoire avant le 30 novembre, ils seraient radiés de l’armée. Cet appel a été largement ignoré : seulement un officier et deux officiers subalternes sont rentrés du Togo. Certains soldats exilés disent qu’ils ne rentreront que s’ils obtiennent une amnistie complète et l’arrêt du gel de leurs avoirs.

Selon l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), qui soutient le processus de désarmement, 1 437 anciens combattants ont été désarmés à Abidjan au mois de novembre et des centaines d’armes et de munitions ont été rendues.