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Le Courrier | L’initiative de l’UDC serait «inapplicable aux réfugiés»

Les conséquences de l’initiative «contre l’immigration de masse» toucheront surtout les réfugiés. La Suisse risque de contrevenir au droit international.

Article de Laura Drompt, publié dans Le Courrier, le 24 février 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

[caption id="attachment_14683" align="alignright" width="320"]86 Dessin publié sur le site « The Other Half » (www.theotherhalf.ch)[/caption]

Après le séisme qui a ébranlé la Suisse le 9 février dernier, les questions quant à l’application de l’initiative dite «contre l’immigration de masse» ont commencé à se poser. Très vite, l’intérêt général s’est porté sur les conséquences économiques du vote. Les regards se sont tournés vers les hôpitaux – dont on sait qu’ils ne pourront fonctionner sans main-d’œuvre étrangère –, vers les programmes de recherche Erasmus et Horizon 2020 ou encore vers l’accord sur l’électricité entre la Suisse et l’Europe.
Qu’en est-il des implications pour les migrants, premiers visés par l’initiative mais dont il a très peu été question ces dernières semaines? Des spécialistes du droit international et les associations proches des réfugiés lancent un avertissement: la Suisse ne pourra en aucun cas appliquer l’initiative de l’UDC sans contrevenir au droit international. Et notamment à la Convention relative aux droits de l’homme.
Pour Marianne Halle, chargée de communication au Centre de Contact Suisses-Immigrés et membre de Stopexclusion, les conséquences du 9 février sont encore difficiles à estimer, mais une chose est certaine: les premiers à en pâtir seront les migrants les plus précaires. L’une des premières conséquences de l’initiative serait l’augmentation des personnes en séjour illégal. «Nos lois n’empêchent pas les migrants et migrantes d’arriver ici, n’en déplaise à certains. Par contre, elles déterminent comment ces personnes sont traitées. En raison de ce vote, celles et ceux qui tenteront leur chance en Suisse le feront dans de plus mauvaises conditions, et avec moins de droits qu’auparavant», regrette-t-elle.

Des scénarios absurdes
Marianne Halle ne peut tout simplement pas concevoir l’instauration de quotas dans le cadre de l’asile. «On nous demande d’imaginer l’inimaginable, d’envisager des situations absurdes. Face à une personne persécutée dans son pays, que dira-t-on? Que nous sommes désolés de ne pouvoir l’enregistrer, qu’elle est dans son droit mais que nous avons atteint le nombre limite de réfugiés?»
Selon elle, la seule manière de concilier à la fois le droit international, qui garantit la protection des réfugiés, et l’initiative populaire serait de fixer des contingents si élevés qu’ils ne seraient jamais atteints.
Aldo Brina, coprésident de Stopexclusion et responsable du secteur réfugiés au Centre social protestant, est également dubitatif face aux scénarios possibles. «Nous sommes dans l’expectative. Il est certain qu’une pression supplémentaire se fera sentir sur les migrants. Mais qu’adviendra-t-il concrètement? Dire qu’on n’accepte personne de plus à cause des quotas ne modifie pas, en soi, la réalité de la présence de ces personnes.»
Et de confirmer qu’une telle application serait en contradiction avec le droit international.

«Inapplicable aux réfugiés»
Vincent Chetail, qui dirige le Centre sur les migrations globales de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, travaille activement sur ces questions de droit. «La Suisse va-t-elle renégocier la Convention de Genève relative au statut des réfugiés? Ou la Convention européenne des droits de l’homme? Cela semble aberrant. Surtout, un Etat ne peut mettre fin à un traité de manière unilatérale. Il s’agit d’un principe fondamental du droit international.»
Selon l’expert, le problème principal réside dans l’angle adopté par l’UDC dans la rédaction de son texte. «Les quotas devront être fixés selon l’intérêt économique de la Suisse. Ceci n’a aucun sens et n’est pas applicable aux réfugiés, puisqu’ils ne fuient pas la misère mais des persécutions.» Même en imaginant une stricte application, Vincent Chetail rappelle que les principes coutumiers du droit international ne peuvent en aucun cas être ignorés. Notamment le principe de non-refoulement – qui interdit de renvoyer un réfugié vers un pays de persécution –. Que les quotas aient été atteints ou non, la Suisse ne pourra en aucun cas renvoyer les personnes concernées.
Dans une analyse de la situation, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés parvient aux mêmes conclusions. Et l’organisation appelle la Suisse à «conserver sa forte tradition humanitaire et à respecter ses obligations internationales» à l’égard des personnes menacées de traitement inhumain. Espérons que ces arguments fassent effet auprès du parlement, qui entamera bientôt la discussion sur la loi d’application de l’initiative.