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Documentation

Voix d’exils | Les conséquences de la dernière révision de la loi sur l’asile

Article publié sur Voix d’Exils, le 3 mars 2014.

Les citoyens suisses ont voté massivement le 9 juin 2013 en faveur du durcissement de la loi sur l’asile. Par voie d’ordonnance, le Conseil fédéral a donc adopté les modifications nécessaires à la mise en œuvre de cette révision et prévu des phases test pour son application. Le mercredi 26 février 2014, il annonce qu’il souhaite prolonger la durée de validité des modifications urgentes de la loi sur l’asile de quatre ans initialement prévues jusqu’en septembre 2015. Afin de mieux comprendre les conséquences de cette nouvelle politique, Voix d’Exils a rencontré Philippe Stern, juriste au Service d’aide juridique aux exilés (SAJE).

Voix d’Exils: Selon vous, quelPhilippe Sternles sont les principales conséquences de l’entrée en vigueur, le 1 octobre 2013, de la révision de la loi sur l’asile ?

Philippe Stern: La votation de juin 2013 avait pour objectif de confirmer ou non l’entrée en vigueur des mesures urgentes de septembre 2012 concernant la loi sur l’asile. Les citoyens suisses devaient donc notamment se prononcer sur la question de la désertion comme n’étant plus un motif d’asile, sur la suppression des demandes d’asile déposées à l’étranger ou, encore, sur la création de camps pour les requérants «récalcitrants». Un deuxième volet de la révision de la loi sur l’asile a été introduit en février 2014 avec, notamment, la procédure «test» mise en place à Zurich. Quant au dernier volet de la révision, il aura pour but de valider définitivement la nouvelle procédure d’asile accélérée. Ces révisions vont toutes dans la direction d’un durcissement en matière d’asile.

Concernant les mesures urgentes, la principale conséquence est que les demandes d’asile ne peuvent plus être déposées depuis l’étranger auprès des ambassades de Suisse. Cette nouvelle mesure ferme la porte à beaucoup ; pour les Érythréens, notamment, qui déposaient des demandes à l’ambassade de Suisse du Soudan, ainsi que pour les Somaliens en Éthiopie.

Par ailleurs, sur la question de l’accélération de la procédure, nous y sommes naturellement opposés. En effet, avec cette réglementation, il sera difficile d’établir les faits de manière exhaustive, notamment les problématiques médicales, respectivement de défendre équitablement le droit des requérants d’asile. La défense juridique des requérants va donc devenir compliquée.

Concrètement, pouvez-vous nous donner une illustration de ce qui va se passer ?

Pour mettre en œuvre l’accélération de la procédure, un centre d’enregistrement fédéral est ouvert à Zurich depuis le 1er janvier 2014. Le requérant qui a déposé une demande y est transféré pour une dizaine de jours durant lesquels il aura deux auditions. Il pourra aussi bénéficier d’une représentation juridique. Cependant, au SAJE, nous sommes inquiets de l’indépendance de ces représentants par rapport à l’Office fédéral des migrations (ODM), puisque tous travailleront sous le même toit.

Cette centralisation concerne 70% des requérants. Tout devra se passer très, très rapidement. Si la décision est négative, s’y opposer par un recours deviendra extrêmement difficile. En effet, auparavant, même avec une décision négative, les requérants d’asile étaient transférés dans un canton, ce qui laissait du temps pour étudier le dossier. Désormais, une demande d’asile est traitée en dix jours, si la décision est négative, la personne est censée repartir dans le pays déclaré d’origine.

La nouvelle procédure centralise donc tout au niveau fédéral, il n’y a plus d’attribution aux cantons. Même si au cours de la procédure, de nouveaux éléments interviennent et pourraient la prolonger, les requérants seront toujours placés dans des centres d’attente fédéraux. N’ayant pas de lien direct avec ces personnes, le SAJE ne pourra plus rien entreprendre pour eux.

Nous aimerions plus précisément parler de la détention administrative et de l’ouverture, à Zurich, d’un centre destiné aux requérants d’asile dits «récalcitrants» qui pourraient «menacer la sécurité et l’ordre public». Comment va fonctionner cette nouvelle institution?

Le centre de Zurich n’a pas pour but d’héberger les requérants d’asile récalcitrants, mais se concentre sur le traitement accéléré des procédures d’asile. C’est la concrétisation des nouvelles dispositions du deuxième volet de la modification de la loi sur l’asile. La première modification, en vigueur depuis septembre 2012, concerne les mesures urgentes avec notamment la création de centres d’hébergement pour requérants d’asile récalcitrants. Cette dernière mesure n’a pas eu de réelle concrétisation dans le canton de Vaud.

On a beaucoup parlé du vague des termes : « menacer la sécurité publique » ou « récalcitrants ». Du point juridique, que pouvez-vous nous en dire, comment cela se détermine-t-il ?

C’est évidemment très délicat et problématique. Même avec un comportement exemplaire, un requérant pourrait être considéré récalcitrant par le fait de déposer deux ou trois fois une demande d’asile en Suisse. Il abuserait ainsi du système helvétique qui lui aurait déjà rendu une réponse négative. A titre d’exemple, l’on pense qu’il sera de plus en plus difficile d’obtenir des admissions provisoires pour des personnes déboutées mais dont la situation de santé s’est gravement détériorée en Suisse. D’un côté, on ne peut pas humainement renvoyer de force ces personnes malades dans leur pays d’origine. De l’autre, ces requérants vulnérables se verraient privés d’une régularisation possible car dans l’impossibilité de déposer une demande de réexamen de leur situation.

De quelle manière cette révision va influencer le nombre des demandes d’asiles ?

Il y a en effet un aspect vraiment politique. La loi est plus restrictive, on le sait et ce message circule au sein des différents réseaux de requérants d’asile potentiels. La Suisse perd son image de pays d’accueil et, au final, il y aura certainement moins de demandes d’asile.

Lamin et Elisabeth
Membres de la rédaction vaudoise de Voix d’Exils