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IRIN | Un refuge au bord du Nil pour les déplacés sud-soudanais

Chor, 22 ans, était affamé et déshydraté lorsqu’il est arrivé à Mingkaman, une petite ville sud-soudanaise située au bord du Nil blanc, après avoir fait huit heures de bateau avec une balle logée dans le bas du dos.

Article publié sur le site de l’IRIN, le 15 janvier 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’IRIN.

Le 31 décembre, les forces rebelles ont pénétré dans sa ville natale, Bor – à environ 20 km au nord –, et ont ouvert le feu sur des civils de manière indiscriminée.

Avec son frère aîné, Chor s’est caché sous un lit de la maison familiale. Les deux hommes étaient retournés chez eux pour récupérer des effets personnels pendant que le reste de la famille attendait, à l’extérieur de la ville, près du fleuve.

Les balles tirées par les soldats renégats ont blessé son frère à la poitrine et Chor, au bas du dos. Son frère est mort, mais Chor a survécu et fait le trajet jusqu’à Mingkaman, où il tente de se faire soigner.

La prise de Bor par les rebelles est survenue deux semaines après que la lutte de pouvoir entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président, Riek Machar, limogé en juillet 2013, eut pris un tour violent à Juba. Les troubles se sont rapidement propagés à de nombreuses régions du plus jeune État de la planète.

Selon l’International Crisis Group (ICG), le conflit aurait déjà fait environ 10 000 victimes. Nombre d’entre elles sont des civils qui ont été ciblés en raison de leur groupe ethnique (Kiir est un Dinka et Machar, un Nuer).

Près de 400 000 personnes ont fui leur foyer. Parmi elles, une personne sur dix s’est réfugiée dans des pays voisins comme l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda et le Soudan, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).

La population de Mingkaman, qui atteint maintenant 80 000 personnes, a été multipliée par huit à la suite de l’afflux des déplacés qui ont fui les récentes violences. La sécurité relative qui règne à Mingkaman et la présence de plus en plus importante d’organisations d’aide humanitaire attirent les nouveaux arrivants. Parmi eux, sont nombreux sont ceux qui ne disposent pas d’un abri adéquat et d’une source régulière d’eau potable et de vivres.

« Une grande souffrance humaine »

[caption id="attachment_15199" align="alignright" width="320"]Mingkaman, Lakes State Photo: Mackenzie Knowles-Coursin/Oxfam Mingkaman, Lakes State
Photo: Mackenzie Knowles-Coursin/Oxfam[/caption]

Les arbres sont rares et très prisés. Les gens les utilisent pour se protéger du soleil et de la chaleur écrasante et pour y accrocher des moustiquaires.

Aussi loin que porte le regard, des gens se massent sous les arbres. Des membres de la communauté hôte ont dit se sentir dépassés. La plupart des structures permanentes sont entourées d’une foule de déplacés ou ont été réquisitionnées pour être utilisées par les équipes locales d’intervention d’urgence. D’après l’organisation non gouvernementale (ONG) Plan, la situation est à la veille d’atteindre un « point critique ». Selon les autorités du district, la population du pays a presque triplé, passant de 47 000 à plus de 130 000.

L’afflux de déplacés est pourtant loin d’être terminé. En date du 11 janvier, plus d’un millier de personnes arrivaient chaque jour par bateau de Bor et des régions situées au nord de Bor, déboursant jusqu’à 150 livres sud-soudanaises (30 dollars) par personne pour le trajet.

De longues embarcations en bois accostent chaque matin dans le petit port, transportant des familles épuisées et leurs effets personnels. Certaines ont fui les violences dans une telle hâte qu’elles n’ont rien amené avec elles ; d’autres pataugent dans les eaux du Nil, rapportant sur le rivage des matelas et des toiles pare-soleil. Les résidents du camp se tiennent sur la rive et observent anxieusement la foule des nouveaux arrivants à la recherche d’amis ou de parents perdus.

Parmi les personnes qui arrivent à Mingkaman, plusieurs disent avoir fui Pariak, une ville située au sud de Bor. Ils racontent que des hommes, la plupart portant des uniformes militaires, y ont commis des pillages et tiré des coups de feu.

« Ils ont commencé le dimanche [5 janvier] », a dit Daniel Baidit, qui a voyagé pendant deux jours pour se rendre jusqu’à Mingkaman. « Ils ont tué beaucoup de monde ; ils ont chassé des gens, brûlé leur maison et volé de la nourriture et d’autres articles. »

« Il y a une grande souffrance humaine dans ce pays et ce sont souvent les femmes et les enfants qui font les frais des affrontements », a dit Hazel Nyathi, directrice régionale adjointe de Plan.

À Mingkaman, des hommes armés habillés en civils se mêlent aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP). « Ils tuent des femmes et des enfants. Je dois me protéger et protéger ma famille », a dit un homme, tenant un fusil AK-47.

La plupart des hommes armés sont des membres de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) – l’armée nationale, aujourd’hui divisée – qui doivent retourner se battre pour reprendre la ville de Bor. Des rumeurs de recrutement forcé circulent dans le camp, mais les combattants avec qui IRIN s’est entretenu ont tous dit qu’ils avaient rejoint l’organisation de leur propre gré. Les organisations humanitaires ne rapportent aucune atteinte grave à la sécurité et une source des Nations Unies a dit que la présence de l’APLS ne constituait pas une préoccupation majeure pour l’instant.

Les jeunes hommes retournent de l’autre côté de la rivière, dans l’État de Jonglei, pour s’occuper de leurs bêtes, garder leur maison ou récupérer des effets personnels, mais rares sont ceux qui considèrent ces expéditions comme sécuritaires. Les bruits des roquettes et des moteurs d’avion venant de Bor, que les forces loyalistes sont sur le point de tenter de reprendre, rappellent aux habitants de Mingkaman à quel point ils sont vulnérables.

« Les combats ont commencé à cibler n’importe qui », a dit un travailleur humanitaire à Mingkaman.

Réponse humanitaire

Les médecins ont soigné des femmes âgées et des enfants de quatre ans seulement souffrant de blessures par balles.

Quand les déplacés sont arrivés en masse à Mingkaman, à la fin décembre, « 90 pour cent d’entre eux ont bu l’eau du Nil », a dit un travailleur de Médecins Sans Frontières. « La nourriture demeure une préoccupation importante et il fait très froid la nuit. »

Les mauvaises conditions sanitaires font craindre une épidémie de choléra. On ajoute maintenant du chlore à l’eau du Nil et des cliniques ambulatoires et hospitalières ont été mises en place. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a organisé un large convoi de camions transportant des fournitures médicales qui a emprunté une route en mauvais état pour se rendre à environ 140 km au sud de Juba.

Le service aérien humanitaire des Nations Unies a repris les transferts par hélicoptère et certaines des ONG qui avaient quitté le pays commencent à revenir.

« Les ressources, qui étaient déjà rares, sont utilisées au maximum », a dit un travailleur humanitaire.

Craintes à plus long terme

Dans la capitale, Juba, la situation est presque aussi dramatique. Dix-sept mille personnes vivent actuellement dans l’enceinte de la base militaire de la force de maintien de la paix des Nations Unies, un espace qui conviendrait pour accueillir moins d’un quart de ce nombre.

« La chaleur et l’accès limité à l’eau et aux latrines attisent les tensions et augmentent le risque de maladie. Chaque nuit, [les déplacés] dorment littéralement côte à côte », a expliqué Toby Lanzer, coordonnateur humanitaire des Nations Unies au Soudan du Sud.

Les Nations Unies se préparent déjà à réinstaller ces gens dans un lieu plus approprié s’ils s’y trouvent encore en avril, au début de la saison des pluies. « Si cela se poursuit jusqu’en avril, la situation sera très grave. Il y a de l’eau et de la boue partout ici. Il serait très difficile d’héberger des dizaines de milliers de personnes pendant la saison des pluies », a-t-il dit.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les violences qui durent depuis environ un mois menacent également la sécurité alimentaire des habitants d’une grande partie du pays.

« Il est capital de rétablir la sécurité alimentaire et la stabilité au Soudan du Sud dans les plus brefs délais afin de permettre aux personnes déplacées de rentrer chez elles et de reprendre leurs activités agricoles, pastorales et halieutiques. Le facteur temps est capital : il y a du poisson dans les rivières, les éleveurs s’efforcent de protéger leurs troupeaux et les semis de maïs, d’arachide et de sorgho démarrent en mars », a dit Sue Lautze, représentante de la FAO au Soudan du Sud, dans une déclaration.

« Même avant les conflits récents […] on estimait déjà qu’environ 4,4 millions de personnes seraient en situation d’insécurité alimentaire au Soudan du Sud en 2014. Parmi eux, 830 000 risquaient de souffrir d’insécurité alimentaire aiguë », a dit Dominique Burgeon, directeur de la division des opérations d’urgence et de la réhabilitation de la FAO.