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IRIN | L’impact de la crise sud-soudanaise dans la région

L’accord de cessation des hostilités signé par les parties au conflit au Soudan du Sud a entraîné une diminution considérable des violences, même s’il y a eu des combats récemment dans les États d’Unité et des Lacs.

Article publié sur le site de l’IRIN, le 17 février 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’IRIN.

La crise est pourtant loin d’être terminée dans ce tout nouveau pays : quelque 870 000 personnes ont fui leurs foyers depuis que les affrontements ont commencé, à la mi-décembre, et la crise a des conséquences qui vont bien au-delà des frontières du Soudan du Sud. Certaines de ces répercussions sont examinées dans cet article.

Ouganda

L’Ouganda s’efforce d’accueillir des milliers de réfugiés nouvellement arrivés. Le pays a également déployé des troupes au Soudan du Sud pour aider le président Salva Kiir à lutter contre les forces dirigées par l’ancien vice-président Riek Machar.

Le retrait des « forces alliées invitées par l’un des deux camps du théâtre des opérations en République du Soudan du Sud » est l’une des principales dispositions de l’accord de cessation des hostilités.

Trois jours après la signature de l’accord, toutefois, les forces militaires ougandaises sont arrivées à Malakal, au Soudan du Sud, selon le Bilan en matière de sécurité humaine (Human Security Baseline Assessment, HSBA) de Small Arms Survey. Lors d’une récente conférence de presse, le ministre des Affaires étrangères ougandais, Sam Kutesa, a dit que l’Ouganda comptait « rester [sur le territoire sud-soudanais] aussi longtemps que le gouvernement du Soudan du Sud aura besoin de nous ».

Le directeur de la recherche à l’Institut Sudd, Augustino Ting Mayai, a dit à IRIN que l’implication militaire de l’Ouganda au Soudan du Sud était directement liée à ses propres intérêts.

« L’Ouganda bénéficie directement de la stabilité du Soudan du Sud », a-t-il dit. « Le pays a limité les problèmes de sécurité en lien avec la LRA » – l’Armée de résistance du Seigneur, un groupe rebelle d’origine ougandaise qui est maintenant plus actif en République démocratique du Congo (RDC) et en République centrafricaine (RCA) – « et créé des milliers d’emplois pour les Ougandais. L’Ouganda protège ses atouts. »

Il y aurait entre 2 000 et 5 000 soldats ougandais déployés au Soudan du Sud, incluant le soutien aérien et les chauffeurs de tanks. Selon un rapport du projet Enough publié récemment, l’Ouganda est également le plus grand contributeur de troupes de la mission de l’Union africaine (UA) pour l’éradication de la LRA. Entre 1 000 et 1 500 soldats ougandais sont en effet stationnés dans les régions de la RCA et du Soudan du Sud affectées par la LRA.

Si l’Ouganda continue de s’impliquer au Soudan du Sud, il risque de « détourner les moyens militaires de la mission d’éradication de la LRA », a averti le projet Enough.

Dans un article publié dans Sudan Tribune, Sudan Democracy First Group écrit : « L’implication militaire de l’Ouganda, bien qu’approuvée par son parlement, a donné au conflit une dynamique régionale dangereuse et risque de saper les efforts de médiation de l’Autorité intergouvernementale sur le développement (IGAD), dont l’Ouganda est membre. »

Soudan

Dans une lettre adressée au Conseil de paix et de sécurité de l’UA, 27 organisations de la société civile ont averti que « pendant que la communauté internationale concentre son attention sur les événements au Soudan du Sud, nous craignons que le gouvernement du Soudan ne s’enhardisse et ne décide d’intensifier encore davantage son offensive dans les États du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil bleu, avec les conséquences fatales que cela implique pour les civils ».

Depuis novembre 2013, l’offensive renouvelée de l’armée soudanaise contre les groupes rebelles dans ces trois régions a aggravé la situation humanitaire dans un pays déjà marqué par des années de guerre. Selon l’International Crisis Group (ICG), plus de 450 000 nouvelles personnes ont été déplacées l’an dernier au Darfour.

« [Le gouvernement] peut aussi exploiter la crise actuelle au Soudan du Sud pour saper les efforts de médiation actuellement menés par l’UA, par exemple avec le MPLS-N [Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord] », ont ajouté les auteurs de la lettre, faisant référence au groupe rebelle soudanais qui, avant la sécession du Soudan du Sud, en 2011, était une branche du mouvement d’insurrection et qui est aujourd’hui devenu le parti politique au pouvoir à Juba.

Selon le récent rapport du projet Enough intitulé Forgotten Wars [Guerres oubliées], les affrontements récents au Kordofan du Sud ont forcé 25 000 personnes à quitter leur foyer. Plus de 200 000 réfugiés soudanais tentent par ailleurs de fuir au Soudan du Sud.

Akshaya Kumar, analyste des politiques du Soudan et du Soudan du Sud pour le projet Enough, a dit dans un entretien avec IRIN que cette situation avait des implications transfrontalières sérieuses.

« Toutes les régions sont confrontées à des hostilités et à des violences accrues, mais les réfugiés soudanais originaires des monts Nouba, au Kordofan du Sud, qui vivent à Yida [site d’un camp de réfugiés au Soudan du Sud], sont probablement ceux qui ressentent le plus durement l’impact du conflit au Soudan du Sud. Celui-ci a en effet entraîné des changements significatifs dans la manière dont ils obtiennent des services et de l’aide », a dit Mme Kumar. « Ils sont coincés entre deux zones de guerre. »

L’International Peace Information Service (ISIP), qui a récemment cartographié les conflits le long de la frontière Soudan-Soudan du Sud, explique que les récents combats au Soudan du Sud ont « un profond impact sur les relations Nord-Sud et, par extension, sur les dynamiques des frontières. Dans ce cas, le conflit entre le président Kiir et [son ancien vice-président] Riek Machar a poussé Khartoum à opter pour une coopération accrue avec le régime au pouvoir. Les tensions au sein du MPLS étaient déjà palpables auparavant et avaient des répercussions sur les conflits dans la région frontalière. »

Les relations interétatiques et communautaires à la frontière, comme le commerce et les mouvements pastoraux, en sont évidemment affectées. Le Small Arms Survey a par ailleurs rapporté que le MPLS-N était impliqué dans des combats à Malakal, faisant craindre que le conflit au Soudan du Sud ne refaçonne les dynamiques au sein des groupes rebelles.

« Les récents affrontements auront certainement un impact sur les dynamiques du conflit dans les régions frontalières soudanaises », a dit Mme Kumar à IRIN.

Interdépendance

Puisque « Khartoum a autant besoin de Juba que Juba de Khartoum » et que « l’instabilité dans l’un ou l’autre des États est synonyme d’instabilité dans l’autre », comme l’a dit à IRIN M. Mayai, de l’Institut Sudd, ce sont à la fois les dynamiques du conflit et les processus de paix qui sont entremêlés.

« Ce qui est plus inquiétant encore, c’est que les pourparlers à Addis continuent de reproduire la pire tendance historique des négociations soudanaises : ils incluent seulement les acteurs armés et la société sud-soudanaise n’y joue qu’un rôle mineur, si ce n’est celui de souffrir des conséquences des violences et des aspirations politiques de leur prétendu leader », indique le Sudan Democracy First Group dans son article.

Selon Mme Kumar, du projet Enough, « le processus de paix au Soudan du Sud devrait définitivement tirer profit de notre expérience passée au Soudan, en particulier en ce qui concerne la nécessité d’une approche globale, d’un dialogue national plutôt que de négociations cloisonnées, et de l’inclusion des parties prenantes de la société civile. »

Dans un article sur le même sujet publié récemment dans Foreign Policy, George BN Ayittey écrit : « Le bilan des négociations directes en Afrique post-coloniale – et au Soudan – est épouvantable. Au lieu d’emprunter le même chemin vers l’échec, le chemin de toujours, le Soudan du Sud devrait s’inspirer des modes traditionnels de résolution des conflits pour sortir de l’impasse actuelle. »

De la même façon, le Soudan peut tirer des leçons de l’expérience sud-soudanaise pour résoudre ses propres conflits internes, en particulier en prenant conscience que le refus d’accorder des concessions peut renforcer l’opposition au régime.

Jérôme Tubiana, analyste principal pour le Soudan auprès de l’ICG, a dit : « Si Khartoum réalise que l’action militaire au Kordofan du Sud, au Darfour et au Nil bleu est aussi inutile qu’une guerre par procuration avec le Soudan du Sud, et si les vues pragmatiques sur le Soudan du Sud s’étendent aux zones de guerre du Nord, le gouvernement de Khartoum aura alors l’occasion d’entamer un véritable dialogue national. »

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