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Notre regard

Editorial | Droits à géométrie variable?

Dans une célèbre expérience menée au sein d’une classe québécoise, une enseignante a amené ses élèves à pratiquer la discrimination (1). Le critère: la taille. En désignant les petits  comme «supérieurs», réussissant mieux à l’école, etc., elle a rapidement généré un sentiment d’infériorité ou de supériorité, et à l’acceptation de l’inégalité des droits qui en découlait, tant par les discriminants, que par les discriminés. Dès la récréation, les enfants s’étaient scindés en deux groupes.

L’autorité inhérente à sa fonction, le fait que la maîtresse s’appuie sur une «étude scientifique» et des exemples («Regardez Gérard, il n’écoute pas, etc., je suis sûre qu’il mesure plus de 1m34») ont eu une incidence sans conteste sur l’expérience.

Le microcosme d’une classe peut-il être transposé à notre société? Le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) s’inquiète, dans son rapport sur la Suisse, de la résurgence des stéréotypes racistes véhiculés par les partis populistes et certains médias. Stéréotypes visant «en particulier les Africains, les Européens de l’Est, les Musulmans, les Roms, les sans-papiers, les demandeurs d’asile et les réfugiés » et «qui péjorent la perception qu’a la société du statut des individus ou groupes concernés». Recommandation du CERD aux autorités: porter un message clair et systématique de rejet de toute forme de discrimination raciale, et ce par les plus hauts représentants de l’Etat.

Criminaliser les étrangers, les réfugiés, les Roms, pour gagner des voix reste malheureusement un instrument très prisé. Facile, mais à court terme et peu responsable. En disqualifiant des groupes de population, on instille l’idée dans l’opinion qu’il est justifié de leur retirer certains droits pourtant indissociables de leur qualité d’« humains ». Et de leur créer un régime à part. Ainsi de l’aide d’urgence, de la détention administrative, dont Genève s’apprête à faire sa marque de fabrique.

Et puis il y en a qui vont plus loin. On a vu le chef du PDC Christophe Darbellay proposer le fichage ADN des demandeurs d’asile marocains, tunisiens et algériens, à titre préventif (2).  Message sous-jacent: être de cette nationalité porte le germe du crime, «légitimant» l’atteinte aux droits fondamentaux de ces personnes.

De son côté, le procureur de Genève, garant des droits de tous, y compris des étrangers, a pris le parti d’utiliser la justice pénale comme outil de gestion migratoire. Alors que les conditions de détention à la prison de Champ-Dollon ont été qualifiées d’«inhumaines» par le Tribunal fédéral, il entend poursuivre sa politique consistant à mettre des personnes sous les verrous pour simple absence de permis de séjour. Il suffit qu’elles aient précédemment été verbalisées pour ce motif ou pour un larcin pour lequel elles ont déjà purgé leur peine. Une simple présomption suffit: par exemple avoir été interpellées en «zone criminogène». A la journaliste qui lui demande pourquoi ne pas recourir à la détention administrative,  il explique: «La jurisprudence du Tribunal fédéral permet de détenir quelqu’un administrativement seulement s’il peut être expulsé à bref délai, c’est à dire lorsque des accords de réadmission peuvent être appliqués avec son pays d’origine. Ce n’est pas le cas ici, c’est pourquoi le Ministère public met la pression pour combler cette lacune » (3).

La pression sur qui? Jusqu’où? Ah, il est question des «délinquants multirécidivistes dont la plupart viennent d’Afrique du Nord» (3)… Donc tout est permis?

Sophie Malka


Notes:

(1) La leçon de discrimination, diffusée dans Spécimen, RTS 9 octobre 2013.

(2) L’ADN des requérants d’asile bientôt fiché? RTS, dans « Faut pas croire », 15 mars 2014. Le projet a été rejeté par le Conseil des Etats le 21 mars.

(3) La Tribune de Genève, 19 mars 2014. Cliquez ici pour lire l’article complet dans la Tribune de Genève.