Aller au contenu
Comptoir

Stéréotypes sur les Roms | « La nausée du Matin » par Miruna Coca-Cozma, journaliste à la RTS

Réaction de la journaliste Miruna Coca-Cozma à un article publié par Le Matin, 11 mai 2014

Le quotidien orange passe maître dans l’art du bonneteau. Tel un grand bonimenteur, il continue à cacher des propos racistes sous des gobelets en toc via des articles en kit. Après s’être spécialisé dans des papiers nauséabonds sur « les Roms », Le Matin semaine (vendredi 9 mai 2014), s’attaque désormais aux « Roumains ». Tous les Roumains. Et le journal les attaque maintenant. Car maintenant, comme le dit le titre de l’article, « les Roumains »  draguent les séniors. Sachant, et sous entendu, que ce « maintenant » annonce la menace d’un « plus tard » encore pire. Forcément.

Mais qui sont ces « seniors », dont l’article ne précise à aucun moment leur nationalité ? Qui sont ces personnes venues « chercher des petites putes, mais des hommes » ? Et que penser de l’un d’entre eux qui dit à visage caché : « Mais je ne le ramène pas chez moi, c’est trop risqué ! Je ne veux pas me faire voler ».

Explication : En fait, le maître du bonneteau procède ici à plusieurs tours : la carte recherchée est facilement suivie. On nous fait croire que la boule de liège se cache sous le gobelet de gauche, quand, en fait, elle se trouve à droite. Alors, pour qui allez vous avoir plus de compassion ? Pour le senior qui risque de se faire voler ou pour le jeune roumain qui demande 50 fr. (parfois moins) pour une passe ? Gobelet de gauche ou gobelet de droite ? Hein ?  

Et vas-y, que je t’embrouille

« La mendicité à la grand-papa, c’est fini. Aujourd’hui, les Roumains sont actifs dans toutes sortes de domaines à Genève : les vols, les cambriolages, le recyclage de métaux précieux dérobés, la prostitution. » lit-on dès les premières lignes de l’article. Merci pour l’amalgame.

Le mot « mendicité », glissé subrepticement dès les premiers mots de l’article, fait appel à notre réflexe pavlovien d’associer la mendicité aux Roms. Si vous aviez encore des doutes, petite confirmation dans l’encadré intitulé, en toute simplicité, « La criminalité roumaine explose » : « A la première vague de mendiants de 2007-2008, ont succédé des professionnels plus aguerris dès 2011 ».

Vient ensuite la très attendue caution politique de Pierre Maudet qui, lui, déclare : « Les Roumains sont en train de supplanter les Maghrébins ». Le surdoué conseiller genevois doit sûrement faire référence aux maghrébins de Maghrébinie, vu qu’il parle, dans la même phrase des Roumains de Roumanie. La Maghrébinie, ce beau pays. Le pays est pauvre mais le climat y est doux.

Grâce à la bénédiction du conseiller d’état genevois Pierre Maudet, le Matin attribue ainsi des nationalités (les Roumains) et des appartenances ethniques (les Roms, sans les nommés) à différents types de délinquance. Pourtant la déontologie oblige les journalistes à respecter la dignité humaine et leur demande d’ éviter toute allusion, par le texte, l’image et le son, à l’appartenance ethnique ou nationale d’une personne, qui aurait un caractère discriminatoire.

Enfin, pour en rajouter une dose anxiogène à souhait : « Seul le marché de la drogue échappe encore aux Roumains à Genève ».

Avoir le sens de l’histoire 

J’habite en Suisse depuis 14 ans, mais j’ai grandi en Roumanie. Lire cet article dans la presse romande, me blesse. Profondément. Premièrement en tant que citoyenne. Deuxième, en tant que citoyenne d’origine roumaine qui paye ses impôts et son AVS (contrairement aux jeunes prostitué-e-s venu-e-s de Roumanie et qui ne sont pas enregistré-e-s auprès de la brigade des moeurs de la police genevoise. Honte à eux !)

Cet article incite à la xénophobie. Il banalise le racisme à coups de gobelets. Il nourrit les préjugés portés à l’égard de certaines nationalités en général, les Roumains en particulier.« La pitié est devenue un fond de commerce », lit-on dans la conclusion de l’article. Et lorsque la presse fait pitié, on fait quoi ?

Pour une Roumaine, comme moi, cet article est insupportable. Il est violent, stigmatisant, discriminatoire. C’est un coup de pute à 2.60 Fr. Le prix du Matin.

Miruna Coca-Cozma

L’article du Matin :
http://www.lematin.ch/suisse/suisse-romande/jeunes-roumains-draguent-seniors/story/27627679 

Nous reproduisons également un message adressé par le syndicaliste Dario Lopreno, engagé pour la défense des droits humains, et membre de Vivre Ensemble:

J’ai reçu de l’association Mesemrom (1) le message suivant: « Suite à l’article du Matin daté du 9 mai 2014, De jeunes Roumains draguent les Séniors, Miruna Coca-Cozma, journaliste à la RTS et réalisatrice du film Notre école a rédigé un article que nous souhaitons partager avec vous ».

L’article du quotidien Le Matin est signé par Valérie Duby, qui n’en est pas à son premier texte vomissant « Maghrébins », « Roms » et « Roumains ». Ces propos nauséeux sont régulièrement accueillis par Le Matin, dirigé par Sandra Jean qui nous dit que « Le Matin et la Suisse romande, c’est une longue et belle histoire. Une histoire pour laquelle nous nous battons chaque jour, dans un environnement difficile, mais avec passion et professionnalisme. » Le quotidien est propriété de Tamedia AG, qui possède quelque 45 titres, centres d’impression et groupes de diffusion et dont la Charte d’entreprise précise : « Nous adhérons à l’idéal d’une société libre et démocratique et adoptons une attitude de base libérale fondée sur la tolérance et l’équité. »

L’article de Valérie Duby est un condensé de stigmatisations de la misère, de mépris du pauvre, de démonisations des Roms, des Roumains et des Maghrébins. C’est un enchaînement de raisonnements par amalgame, par glissement de sens et par simple affirmation : la forme de discours qui permet de rendre apparemment crédible absolument n’importe quoi, n’importe où, n’importe quand, au sujet de n’importe qui. Ce sont là les fondements méthodologiques communs à l’élitisme, au racisme, à la xénophobie, à la misogynie, à la négation de l’Autre, à des fins d’exclusion ou d’utilitarisme.

Nous sommes déjà accablés par les sept plaies de Genève, qui divisent profondément les salariées et salariés du canton, au très grand profit du patronat qui regarde avec bonheur sa main-d’oeuvre s’entredéchirer au lieu de défendre ses libertés, ses conditions de vie, de salaire et de travail. Ces sept plaies sont le rejet du Rom et à travers lui le rejet du mendiant en général (2), du sans-papiers, du requérant d’asile, de l’étranger non assimilé, du frontalier, ainsi que la marginalisation des salariés auxquels on a imposé des rentes vieillesse minimales, l’aide sociale oppressante, le chômage sous-indemnisé ou une AI de misère. Le trio constitué par le quotidien Le Matin, la journaliste Valérie Duby et le conseiller d’État Pierre Maudet y ajoutent la huitième plaie, le rejet des ressortissants de ce très vaste pays objet de leurs phobies et de leurs fantasmes noirs, la Roumanie-Maghrébie.

Je vous adresse, en pièce jointe, l’article de Miruna Coca-Cozma (3), en réaction au triste article de Valérie Duby, ainsi que l’article de cette dernière (4).

(1) Site Internet http://www.mesemrom.org/

(2) En 2007 la droite genevoise – dont l’actuel procureur général – a édicté une loi interdisant les misérables à Genève, mais n’interdisant pas la production, la reproduction et le maintien de la misère dans le canton aux richesses infinies.

(3) Également disponible sur https://www.facebook.com/notes/miruna-coca-cozma/la-naus%C3%A9e-du-matin/10152343658851329

(4) Également disponible sur http://www.lematin.ch/suisse/suisse-romande/jeunes-roumains-draguent-seniors/story/27627679