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Documentation

Le Courrier | Des militants occupent l’EVAM

Une quarantaine de personnes ont envahi le hall de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants hier, pour protester contre les conditions de vie des déboutés.

Article de Sophie Dupont, publié dans Le Courrier, le 12 juin 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Une banderole flotte devant des employés en pause cigarette, au siège administratif de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) à Lausanne. Le hall se remplit petit à petit d’une quarantaine d’occupants.

Michel Pellet, directeur suppléant de l’institution, écoute la lettre lue à haute voix par la militante Graziella de Coulon, dénonçant une péjoration des conditions de vie des requérants déboutés. En cause, leur placement dans des abris antiatomiques à l’encontre d’avis médicaux, le déplacement de familles d’un foyer à l’autre, ou encore l’exclusion temporaire des foyers en cas de non-respect du règlement.

Dans le hall du bâtiment administratif, des boissons et des tracts sont distribués. Si certains travailleurs sont surpris par les accusations portées contre l’institution, d’autres montrent des signes de soutien. «Vous avez raison, glisse un employé. Si je le pouvais, je me joindrais à vous.» L’occupation prend un air de festival quand militants et migrants de passage dansent sur les notes de Manu Chao. L’action est signée «Le groupe du 11 juin», formé spécifiquement pour cette action.

Parmi la quarantaine de personnes venues occuper les lieux, quelques personnalités ont pris la parole: la directrice du Centre social protestant, Hélène Kung, l’écrivain Christophe Gallaz et le directeur du festival cinémas d’Afrique, Alain Bottarelli.

Suicides

«Aujourd’hui, l’EVAM fait prévaloir une logique punitive au détriment des besoins médicaux, sociaux et matériels», dénonce Jean-Michel Dolivo. Le député de La gauche a déposé hier un postulat, muni d’une quarantaine de signatures, demandant au Conseil d’Etat un rapport pour faire le point «sur le traitement réservé par l’EVAM aux personnes vulnérables, particulièrement en matière de santé psychique et physique».

Un manifeste diffusé par le collectif mentionne une «violence institutionnelle» créant «des situations de détresse extrême qui aboutissent à des drames»: un homme mort en se défenestrant au foyer de Vennes, un autre paralysé après avoir sauté du toit du centre de Vevey, une tentative d’immolation devant les bureaux du service de la population, un cas d’une personne qui s’est ouvert les veines dans un abri PC.

Ces cas nous ont été confirmés par la direction de l’EVAM. «De là à faire un lien avec le travail de l’EVAM, le raccourci est un peu rapide», considère Erich Dürst, directeur.

Plusieurs professionnels de la santé font part de leur inquiétude face à la péjoration des conditions de vie des requérants déboutés et à leur santé. «Confiner des personnes dans des situations de souffrance extrême, cela nous interpelle dans un contexte plus large de santé publique», affirme Patrick Bodenmann, responsable de l’unité des populations vulnérables à la Policlinique médicale universitaire (PMU).

L’institution émet des préavis sur le besoin de déplacer des migrants pour des raisons médicales dans d’autres lieux d’hébergement, que l’EVAM est libre de suivre ou non. «L’hébergement a un impact majeur sur l’état de santé, en particulier de la santé mentale», ajoute-t-il.

Abris PC en cause

Les recommandations de la PMU seraient suivies dans 80% à 85% des cas, mais les délais d’attente avant un changement sont souvent beaucoup trop longs par rapport aux besoins médicaux, selon le médecin.

Les conditions de logement peuvent se révéler anxiogènes, notamment pour des réfugiés syriens, dont les abris antiatomiques leur rappellent le traumatisme de la guerre, note le manifeste. Au sleep-in de Morges, ouvert en 2012, les requérants déboutés ont l’interdiction de laisser des affaires sur place. Ceux qui y logent doivent se déplacer tous les jours à Lausanne pour réserver une place. Ces obstacles administratifs, lourds à supporter au quotidien, participeraient d’une fragilité psychique. «Des plus en plus de gens ont des propos suicidaires et font le lien entre leur état et leurs conditions de vie», témoigne une infirmière de la PMU, sous couvert de l’anonymat.

Radiés de l’assurance-maladie

Jean-Claude Métraux, psychiatre indépendant en charge de migrants, s’inquiète aussi de la situation des familles déplacées d’un foyer à l’autre. «Pour des enfants qui ont vécu des ruptures à répétition, cela peut avoir des conséquences dramatiques», s’alarme-t-il. Les femmes célibataires, parfois placées dans des foyers avec une majorité d’hommes seuls, sont également particulièrement vulnérables.

Erich Dürst admet que les avis médicaux ne sont qu’un facteur parmi d’autres qui motivent une décision de l’EVAM quant à un changement d’hébergement. Autre sujet d’inquiétude du collectif: le directeur de l’institution ne nie pas non plus que certains requérants déboutés sont exclus de l’assurance-maladie obligatoire. «Si la personne ne consomme pas ses prestations, on résilie sa couverture d’assurance à la fin du mois», informe-t-il.
De même, il confirme que des requérants déboutés sont exclus des foyers pour des durées limitées à la suite d’infractions au règlement, parfois sans argent, sans nourriture. Des punitions qui «violent les droits fondamentaux des personnes qui dépendent de l’aide d’urgence pour survivre», estime le Groupe du 11 juin. «Les sanctions sont indispensables pour le bien-être des autres résidents, nous les appliquons de manière proportionnée», répond Erich Dürst. Quant aux nombreux transferts d’un foyer à l’autre, ils seraient inhérents au manque de place.

Commentaire de Mario Togni: reprendre la main

Les migrants ne sont pas en odeur de sainteté en Suisse, comme l’a encore démontré le vote du 9 février. A un échelon local, les applications de la politique d’asile déploient aussi leurs effets nocifs. Hier, plusieurs collectifs ont dénoncé les travers de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), qui semble parfois plus appliqué à pourrir la vie des requérants qu’à les prendre en charge.

Difficultés d’accès aux soins, conditions d’hébergement indignes, déplacements de foyer en foyer: autant de pratiques dont le fil rouge semble être la dissuasion. En 2012, dans un rapport interne dévoilé par Le Courrier, des cadres du service de la population (SPOP) et de l’EVAM dressaient des pistes pour «diminuer le nombre de personnes demandant l’aide d’urgence», dans le but de faire des économies.

Aujourd’hui, certaines habitudes de l’EVAM ressemblent étrangement aux propositions d’alors, même si l’institution conteste toute politique de vexation volontaire. Une réaction était nécessaire, alors que le sort des migrants n’indigne plus grand monde dans ce pays.

Les durcissements successifs des droits d’asile et des étrangers ont mis à mal les mouvements de soutien. Au début des années 2000, la société civile vaudoise avait pourtant démontré une rare combativité à défendre, notamment, les sans-papiers de Bellevaux et les «523 déboutés». Il est temps de reprendre du poil de la bête!