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Humanrights.ch | Genève: conditions d’accueil des mineurs non accompagnés inacceptables

Comme chaque canton de la Confédération, Genève doit accueillir une partie des requérants d’asile mineurs non accompagnés (MNA) qui déposent une demande en Suisse. Ces jeunes, dont 85% ont entre 15 et 18 ans, sont arrivés sur le territoire sans leurs parents et aucune personne majeure n’est sur place pour prendre soin d’eux.

Billet publié sur le site humanrights.ch, le 29 janvier 2014. Cliquez ici pour lire le billet sur la plateforme d’information. Pour lire le rapport complet établi par la Task force genevoise, cliquez ici ou sur l’image ci-dessous.

mineurs_GEEntre 2012 et 2013, ils étaient une quarantaine à être accueillis au foyer du Grand-Saconnex à Genève, en attendant que leur dossier soit traité par l’Office des migrations. Cela dans des conditions si graves qu’elles ont fait réagir le Conseiller d’État Charles Beer lors de sa visite de l’institution. À la suite de quoi le Conseil d’État avait mandaté le 6 mars 2013 une Task force afin de faire un bilan de la situation des MNA dans le canton de Genève. Publié en octobre 2013, le rapport fait état de conditions de vie inacceptables et propose des pistes de changement, à adopter rapidement.

Les manques mis en lumière dans le rapport

Pas d’éducateurs, pas d’activités extrascolaires, pas de surveillance 24/24, pas de réfectoire. La liste de tout ce qui manque à l’encadrement de ces ados au foyer du Grand-Saconnex est bien plus longue, mais cet aperçu donne déjà froid dans le dos. Par ailleurs, le manque d’encadrement (un équivalent temps plein de 2.1 pour environ 50 jeunes) fait que ces adolescents sont «gardés» par des securitas le soir et les week-end et totalement laissés à eux-mêmes une grande partie de la nuit. Enfin, les bâtiments, des anciens bureaux destinés aux fonctionnaires de l’ONU, sont absolument inadaptés à leur utilisation actuelle.

Au-delà des problèmes de sécurité, de confort minimal et de suivi scolaire, il est impossible dans ces conditions d’assurer pour ces enfants une figure de «référant parental». Elle est pourtant absolument nécessaire pour ces «enfants séparés», comme les nomme le programme en faveur des enfants séparés en Europe (PESE). Il s’agit pour le PESE de reconnaître leur «souffrance physique, sociale et psychologique (…) comme le résultat de l’absence de protection et de soins fournis par les parents ou autre répondant autorisé par la loi/par la coutume. Les enfants séparés peuvent être en quête d’asile par crainte de persécution, par manque de protection pour cause de violation des droits de l’homme, en raison d’un conflit armé ou d’une agitation dans leur propre pays. Il se peut aussi qu’ils soient victimes de réseaux de prostitution ou d’une autre forme d’exploitation (…). La plupart d’entre eux ont vécu de terribles événements dans des conditions extrêmes».

Graves conséquences

Tous ces éléments ont des conséquences. En effet, il y a, d’après l’organisation Appartenance et coordination d’asile, plusieurs tentatives de suicide au sein des foyers. Les jeunes rencontrent aussi de graves problèmes de «décrochage» scolaire et d’intégration. «Ce sont des enfants comme les autres, souligne pour le Courrier Philippe Klein, membre d’Appartenance et de la Coordination asile. Ils ont besoin d’une présence constante pour se lever le matin, se faire à manger, etc.».

Responsabilité de l’État

Alors que dans son rapport sur la Suisse en 2010, le Comité contre la torture (CAT) se disait déjà préoccupé par le phénomène de disparitions des mineurs non-accompagnés, et du risque pour ces mineurs de devenir victimes de la traite d’être humains ou d’autres formes d’exploitation, un encadrement défaillant tel que celui proposé à Genève est extrêmement problématique.

Par ailleurs, la Convention des droits de l’enfant, ratifiée par la Suisse en 1997, exige notamment de l’État helvétique qu’il assure une protection et une aide spéciale aux enfants en cas de privation du milieu familial (art. 20 CDE), ainsi que la protection et l’assistance humanitaires des enfants réfugiés ou cherchant à obtenir le statut de réfugié (art. 22 CDE). En outre, la politique cantonale de Genève en matière d’accueil prévoit des conditions d’hébergement, de vie et de santé, décentes et favorisant l’acquisition, le développement de compétences censées aider à l’insertion et à l’autonomie.

Vaud et Valais mieux organisés

La situation à Genève paraît encore plus catastrophique lorsqu’on la compare à d’autres voisins romands. Le foyer pour mineurs non accompagnés de l’Établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) peut accueillir jusqu’à 42 garçons et filles entre 12 et 18 ans. Encadrés par onze personnes, dont huit 100%, les jeunes disposent de locaux adéquats et d’une occupation du temps libre beaucoup plus adaptée à leur âge. En Valais aussi, le foyer du Rados présente des conditions de vie correctes avec un accompagnement suivi des jeunes dans leurs tâches quotidiennes. L’équivalent en temps de travail des collaborateurs du Rados est environ cinq fois plus élevé, pour quinze enfants, que celui mis à disposition d’une cinquantaine de jeunes à Genève.

Objectifs et mesures urgentes

C’est donc sans surprise que le rapport de la Task force commandé par le Conseil d’État demande avant tout renforcer le personnel du foyer, afin d’améliorer l’encadrement des RMNA dans leur scolarité et leurs loisirs. Concrètement, le rapport propose de passer de 1 assistant social pour 20 jeunes à 1 éducateur en plus pour 10 jeunes. «Il s’agit notamment de compléter l’équipe des assistants sociaux avec des éducateurs et de développer un encadrement socio-éducatif individuel et collectif», souligne le rapport. La Task force demande également un changement de locaux, qui devra passer soit par de lourds travaux, soit par la création d’un nouveau foyer ailleurs. Cela permettrait notamment de séparer les mineurs des adultes, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

En attendant, la Task force rendra au printemps 2014 un second rapport sur la mise en œuvre des recommandations qu’elle a faites en octobre 2013. Reste à espérer que le changement de gouvernement du 10 novembre 2013 ne freinera pas ces corrections absolument indispensables du point de vue des droits de l’enfant.