Aller au contenu
Notre regard

Le Courrier | L’EVAM désavoué par la justice

Contre l’avis des médecins, l’Etablissement d’accueil des migrants (EVAM) décide de déplacer une famille de requérants en foyer collectif. Le tribunal le rappelle à l’ordre.

Article de Mario Togni, publié dans Le Courrier, le 5 juillet 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Les avis médicaux sur l’état de santé des requérants d’asile doivent être mieux pris en compte. C’est en substance ce que dit le Tribunal cantonal (TC) dans un jugement daté du 10 juin, qui épingle l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) et son autorité de tutelle, le Département de l’économie et du sport (DECS).

La Cour de droit administratif et public a en effet admis le recours d’un ressortissant serbe, qui contestait le déplacement de sa famille dans un foyer d’hébergement collectif, en raison de la vulnérabilité psychique de sa femme. L’EVAM n’avait pas suivi le préavis des médecins, opposés à ce transfert afin «d’éviter le risque d’un passage à l’acte».

Cette décision conforte les défenseurs des migrants, qui critiquent régulièrement les pratiques de l’EVAM et s’inquiètent de l’état de santé des requérants. Début juin, une quarantaine de députés au Grand Conseil ont relayé ces craintes dans un postulat. Le lendemain, le siège de l’institution, à Lausanne, avait été occupé symboliquement par des militants (notre édition du 12 juin).

Placés en foyer à Leysin

Le requérant en question, son épouse et leurs trois enfants ont demandé l’asile en Suisse en septembre 2010. La famille est alors logée dans un appartement privé à Sainte-Croix. Mais leur demande d’asile est rejetée par l’ODM, décision confirmée par le Tribunal administratif fédéral en janvier 2012. Les déboutés au bénéfice de l’aide d’urgence ne pouvant en principe pas bénéficier d’un logement individuel, l’EVAM décide en janvier 2013 de placer la famille au Foyer Sainte-Agnès à Leysin.

Le père fait opposition, s’appuyant sur un certificat médical attestant du «trouble dépressif» et de l’«état de stress post-traumatique» de sa femme, une situation incompatible avec la vie en structure collective. L’épouse aurait par ailleurs des «idées suicidaires» en lien avec une éventuelle expulsion. Dans ce contexte, la stabilité d’un logement familial et la proximité avec son médecin à Yverdon justifient un maintien à Sainte-Croix, selon lui.

L’EVAM saisit alors la commission «critères de vulnérabilité» de la Polyclinique médicale universitaire (PMU), dont le rôle est consultatif. Le préavis est sans appel: la commission préconise que l’épouse du recourant demeure dans son logement à Sainte-Croix en raison «du lien thérapeutique établi dans le cadre d’une situation de gravité», afin «d’éviter le risque d’un passage à l’acte», relate l’arrêt du TC. Malgré tout, l’EVAM maintient sa position, poussant le père de famille à saisir la justice.

Motifs inexpliqués

Dans son jugement, la Cour désavoue l’institution. Tout en pointant que le rapport médical était «insuffisamment développé», le tribunal relève que l’EVAM n’a pas expliqué les motifs objectifs qui l’ont amené à s’écarter du préavis de la commission de la PMU. Les juges vont même plus loin: «L’autorité intimée ne pouvait s’écarter du préavis, sans quoi elle remet en question le rôle même de cette commission, qui est composée de médecins». Le recours du requérant d’asile est donc admis. La Cour somme l’EVAM de faire établir un nouveau rapport médical «satisfaisant aux exigences» et de statuer à nouveau.

A en croire les milieux concernés, ce jugement est une première. «Il était temps qu’un tribunal rappelle que les avis médicaux de la PMU doivent être pris au sérieux», réagit Erika Volkmar, directrice d’Appartenances, association active dans l’accompagnement psychothérapeutique des migrants, notamment victimes de guerre ou de torture. «Nous sommes souvent surpris par la légèreté avec laquelle l’EVAM passe par-dessus les recommandations. La majorité des préavis de la PMU ne sont pas suivis.»

Erich Dürst, directeur de l’EVAM, refuse de commenter le jugement, alors qu’il n’est pas entré en force – le DECS peut en effet encore recourir au Tribunal fédéral. De manière générale, il rappelle que l’institution rend plusieurs dizaines de milliers de décisions par année. «Il peut arriver parfois que l’une d’elles soit cassée.» Selon lui, l’avis des médecins est toujours pris en compte, même s’il n’est pas systématiquement suivi: «C’est un facteur parmi d’autres. Nous devons ternir compte d’un ensemble d’éléments.»

En particulier, l’EVAM doit faire avec les contraintes matérielles liées au manque de places d’hébergement, poursuit Erich Dürst. «Face à l’urgence de loger tout le monde, les solutions ne sont pas toujours idéales.» Et la situation ne va pas s’arranger, puisque le canton enregistre à nouveau, depuis le mois de juin, une hausse du nombre de requérants d’asile.