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Le Courrier | «Les gardes-frontières suisses n’ont rien fait. Rien.»

Polémique autour des gardes-frontière suisses: ils auraient ignoré les appels à l’aide d’une Syrienne enceinte. Sa fille est mort-née.

Article de Laura Drompt, publié dans Le Courrier, le 11 juillet 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Cette famille de Syriens devait rejoindre des cousins en Allemagne. Elle s’est retrouvée hier au cimetière de Domodossola, le père portant dans ses bras un minuscule cercueil blanc. A l’intérieur, le corps de Sara, qui aurait dû naître d’ici quelques semaines.

Ce qui s’est passé entre le départ de la famille et la mise en bière fait l’objet d’une enquête interne par le Corps des gardes-frontière. Pour l’heure, des témoignages indiquent que les autorités suisses auraient laissé une Syrienne enceinte sans assistance. Enfermée durant quatre heures dans une cellule, la jeune femme se plaignait pourtant d’inquiétants symptômes.

Ses appels à l’aide et les demandes de sa famille n’ont rien changé à la situation, qui s’est soldée par la perte de l’enfant. «Si la femme avait reçu de l’aide en Suisse, ce malheur aurait pu être évité», a affirmé un médecin italien à l’émission de la télévision suisse alémanique 10 vor 10, qui a médiatisé l’affaire.

Appels dans le vide

Omar, 33 ans, et son épouse Suha, 22 ans, devaient se rendre de Milan à Paris, avec un groupe de réfugiés syriens. Ils souhaitaient rejoindre leur famille en Bavière. Intercepté en France le 4 juillet, le groupe a été refoulé vers l’Italie, transitant par la Suisse. Les gardes-frontière helvétiques en avaient la responsabilité entre Vallorbe et Brigue.

Dans des interviews vidéo, Omar, le père de famille, témoigne: «Je leur ai dit que ma femme ne se sentait pas bien. Comme elle est enceinte de presque huit mois, cela se voit. Ils disaient ‘ok, ok’, sans rien faire du tout.»

Après plusieurs heures passées dans des fourgonnettes, le groupe a été mis en cellule durant quatre heures à Brigue, en attendant un train pour Domodossola. «Arrivée dans cette cellule, mon épouse s’est assise par terre et a perdu du sang. Puis les eaux.»

Le mari commence alors à paniquer et réclame une ambulance. Pensant qu’il s’agissait peut-être d’un problème financier, il affirme avoir interpellé les gardes-frontière et supplié d’appeler une ambulance, qu’il voulait payer de sa poche. En vain: «Ils n’ont rien fait. Rien.»

Un médecin témoigne

Ce n’est qu’une fois arrivée à Domodossola que Suha a été prise en charge par une équipe médicale. Francesco Garufi, directeur de la santé pour la province du Verbano-Cusie-Ossola, confirme que la Syrienne est arrivée à l’hôpital en souffrant de douleurs abdominales. Le gynécologue de garde n’a alors pu que constater le décès du fœtus.

Pour Francesco Garufi, l’attitude des gardes-frontière ne s’explique pas. «Une femme enceinte qui a des douleurs, encore plus si elle perd du sang, doit voir un spécialiste ou être amenée à l’hôpital tout de suite.» Ainsi qu’il l’explique aux journalistes du Fatto Quotidiano, il s’agit là d’une «règle fondamentale» prévue par des protocoles internationaux.

Omar a adressé ses remerciements à la Croix-Rouge italienne et aux agents de la police italienne des frontières, qui ont prodigué les premiers secours à son épouse. Quant au reste, il entend porter plainte auprès des instances française et suisse.

Gardes-frontière secoués

Chargé de communication pour le Corps des gardes-frontière, Walter Pavel indique pour sa part: «Ce cas nous a beaucoup touchés. A l’heure actuelle, l’enquête interne est en cours pour clarifier les circonstances, pour savoir ce qui s’est passé exactement».

Ne pouvant en dire plus pour le moment, il indique seulement que, si cela devait aller plus loin, «la justice militaire ouvrirait une enquête». L’Italie a pour sa part réclamé que toute la lumière soit faite dans cette affaire.

Les organisations défendant les droits des migrants ont toutes dénoncé cette situation. Hasard du calendrier, l’Observatoire romand du droit d’asile (ODAE) vient tout juste de publier le cas d’une Erythréenne, enceinte de quelques mois, qui a perdu son enfant après avoir vu sa santé se dégrader au cours d’une détention administrative. Mariana Duarte, coordinatrice de l’ODAE, appelle à ne plus considérer les femmes enceintes «comme de simples marchandises que l’on renvoie» et de leur «accorder la protection qu’elles méritent».

Le collectif Droit de rester se dit pour sa part «sidéré» par l’enchaînement des faits et voit dans cette situation «une illustration de plus du mépris dont la Suisse fait preuve à l’égard des migrants».

Une enquête en cours…

Le Corps des gardes-frontière transmet le cas de la réfugiée syrienne à la justice militaire pour enquête

Berne, 11.07.2014 – Le Corps des gardes-frontière (Cgfr) a décidé de transmettre à la justice militaire, pour enquête, le cas de la réfugiée syrienne victime d’une fausse couche après avoir été refoulée de France en Italie via le territoire suisse. Le but de cette démarche est de faire examiner par un service externe les reproches faits à des collaborateurs du Cgfr.

Le vendredi 4 juillet, un groupe de 36 réfugiés a été reconduit de Vallorbe à Domodossola, en Italie, par des collaborateurs du Cgfr. Ces personnes avaient auparavant été remises au Cgfr par les autorités françaises. Une femme de nationalité syrienne a été victime d’une fausse couche à l’hôpital de Domodossola. Sa famille a alors émis des reproches contre des collaborateurs du Cgfr, déclarant que la femme s’était vu refuser toute aide médicale pendant cette opération de reconduite.

Le Cgfr a immédiatement ouvert une enquête interne. De premiers résultats sont maintenant disponibles. Ceux-ci montrent qu’une faute ne peut pas être exclue. Au vu de ces premiers éléments et de la gravité des reproches faits à ses collaborateurs, le Cgfr a décidé de transmettre le cas à la justice militaire pour enquête.

Source: Service médias de l’Administration fédérale des douanes 

Communiqué du collectif Droit de rester pour tou.te.s

Réaction face à une nouvelle tragédie de la migration

L’annonce faite hier du cas d’une Syrienne ayant perdu son bébé faute de soins est une illustration de plus du mépris dont la Suisse fait preuve à l’égard des migrants. L’enchaînement des faits, tel que présenté par 10vor10, est sidérant et plusieurs éléments choquants doivent être soulignés.

La non-assistance à personne en danger est grave. Dans le cas présent, les conséquences ont été particulièrement dramatiques puisqu’il s’agissait d’une femme enceinte dont le bébé est mort à suite à la négligence des gardes-frontières suisses. Malgré les appels à l’aide répétés du mari, aucune assistance n’a été fournie à la femme. Cela montre le mépris des autorités suisses face aux migrant-e-s en général. La rhétorique de l’abus, instillée par l’UDC et reprise en cœur par la plupart des politicien-ne-s et des médias, a tellement faussé la réalité qu’un migrant n’est généralement vu que comme un menteur ; ses plaintes sont disqualifiées, sa souffrance est niée.

On ne peut que s’insurger du ballotement subi par cette famille, à l’instar de tant d’autres, entre les frontières italiennes, suisses et françaises. Ce transfert des personnes comme des marchandises se fait au nom des lois migratoires européennes dont la Suisse est complètement partie prenante. Chaque Etat cherche à se débarrasser du plus grand nombre « d’indésirables » et, en vertu des accords Dublin, la Suisse renvoie à tour de bras en Italie des personnes venues chercher refuge. Ces renvois se font au mépris de l’humanité des personnes. Dans le cas présent, la famille cherchait à rejoindre Paris, où elle a peut-être des amis, des connaissances qui l’auraient aidée, mais toute autonomie dans son choix de refuge lui est niée, et le fait d’être passée par l’Italie rend caduque toute autre possibilité.

Est-il besoin de rappeler que cette famille a fui un conflit d’une violence et d’une cruauté extrêmes ? Il est inacceptable de ne pas accueillir celles et ceux qui demandent une protection. La Suisse ne fait que peu de cas des réfugié-e-s syrien-ne-s, et l’épisode douloureux auquel nous venons d’assister n’en est qu’une illustration de plus. Nous exigeons immédiatement un permis stable en Suisse pour ces personnes, si elles le souhaitent, et l’installation d’une cellule de crise pour l’accueil des réfugié-e-s qui, fuyant la guerre et la violence, se voient fermer les portes par un pays riche qui se targue d’humanitaire.

Le père Syrien témoigne de l’absurdité de la situation dans l’émission 10vor10 : « Nous avons quitté en Syrie la guerre et la mort, et qu’avons-nous trouvé ici ? Une autre guerre et la mort de ma fille.». Nous ne pouvons, malheureusement, que lui donner raison : c’est une guerre que l’Europe mène contre les migrant-e-s, barricadée derrière des frontières toujours plus infranchissables, comme le révélait hier encore un rapport d’Amnesty. Rien ne pourra ramener ce bébé à ses parents mais une enquête doit être ouverte immédiatement et les coupables d’autant de négligence doivent être punis.

L’accueil des réfugié-e-s ne peut plus être laissé dans les mains de l’Administration ! Il est grand temps d’opter pour une politique d’accueil respectueuse qui prend en compte les droits de toutes et tous et qui défend les personnes les plus vulnérables.

10 juillet 2014

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