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Le Courrier | Asile: Après la préférence nationale, la préférence religieuse?

Dans le nord de l’Irak, l’avancée de l’Etat islamique pousse sur les routes de l’exode des dizaines de milliers de personnes issues des minorités menacées par l’innommable politique de «purification religieuse» des djihadistes. Tous les non-sunnites sont visés: chrétiens, yézidis, chiites. Mais, après la prise de la première ville chrétienne du pays, Qaraqosh, c’est la fuite de cette population qui, de par son ampleur, fait d’abord la «une» des journaux.

Editorial de Rachad Armanios, publié dans Le Courrier, le 13 août 2014. Cliquez ici pour lire l’éditorial sur le site du journal.

En Suisse, la tragédie humanitaire a ému jusqu’aux pires fossoyeurs du devoir d’asile. Voilà qu’il s’est trouvé un conseiller national UDC, le Bernois Erich von Siebenthal, pour demander d’accueillir ces chrétiens. Ou du moins de les accueillir «en priorité». Dans l’interpellation au Conseil fédéral qu’il prévoit de déposer durant la session d’automne, l’élu introduira la notion de préférence religieuse en matière d’asile. Au nom d’une proximité culturelle. Parce qu’ils seraient des coreligionnaires. Parce que ces réfugiés s’intégreraient mieux que, au hasard, des musulmans…

A l’UDC, il se trouve des personnes séduites par la proposition. Elle est pourtant insupportable et odieuse à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle se réclame de l’identité chrétienne que, pourtant, elle pervertit frontalement en piétinant le principe évangélique cardinal d’accueil et de charité sans distinction. C’est la misère et l’appartenance à une même fraternité humaine qui relient celui qui appelle à l’aide et celui qui lui tend la main. Ce principe n’a d’ailleurs pas de copyright, car il est universel. Une préférence religieuse contredirait tout simplement les Conventions de Genève, qui commandent aux Etats d’accorder les mêmes droits aux réfugiés, sans distinction de race, de nationalité ou de religion. Hier, les évêques suisses ont lancé un appel à l’aide à toutes les minorités menacées dans le nord de l’Irak.

Après l’initiative contre les minarets, voilà donc encore une trouvaille émanant des bancs de l’UDC pour alimenter le choc des civilisations. Un univers mental qui, pour rappel, avait notamment servi en 2003 à justifier l’attaque d’un autoproclamé «Occident judéo-chrétien» contre «l’axe du mal». Et de déstabiliser durablement la région que les chrétiens et autres minorités fuient désormais plus massivement que jamais…

Mais la réalité est têtue. Car au-delà des réactions émotionnelles et primaires de l’élu UDC, la vérité est que la Suisse, sous la pression de son parti, pratique une politique d’asile tellement restrictive qu’elle ne fait pas beaucoup de distinctions entre les réfugiés, dans la mesure où tous, ou presque, sont d’abord soupçonnés d’abus avant d’être considérés comme en danger. L’UDC, d’ailleurs, n’a pas fini d’exploiter son filon. Il y a deux semaines, en vue des élections fédérales de 2015, elle annonçait étudier le lancement d’une énième initiative pour restreindre le droit d’asile en réservant ce dernier aux réfugiés arrivant chez nous par voie aérienne.

Que se passera-t-il, demain, quand des chrétiens persécutés viendront chez nous à pied?