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Migros Magazine | Réfugiés: instaurer des critères religieux?

Face aux persécutions de l’Etat islamique, faudrait-il donner la priorité aux chrétiens d’Orient parmi les autres requérants d’asile?

Article de Laurent Nicolet, publié dans le Migros Magazine MM37 du 8 septembre 2014 et sur le site www.migrosmagazine.ch. Pour lire l’article complet sur le site de Migros Magazine, cliquez ici. 

Face aux persécutions que subissent les chrétiens d’Orient et à l’émotion légitime suscitée chez nous, l’idée émerge de leur donner la priorité parmi les autres requérants. Au risque de malmener sérieusement le droit d’asile?

Le sort des chrétiens d’Orient, en butte aux persécutions de l’Etat islamique (EI), a fini par générer une vague d’émotion en Europe et, évidemment, en Suisse. Au point de faire surgir l’idée d’une priorité à accorder en matière d’asile à ces coreligionnaires fuyant la barbarie.

Paradoxalement c’est dans les rangs d’une UDC prônant pour le reste un durcissement des critères d’admission que sont parties les premières initiatives concrètes. Le conseiller national bernois Erich von Siebenthal entend ainsi déposer une motion incitant à faire entrer la préférence religieuse dans les critères du droit à l’asile et donner la priorité aux chrétiens. Au motif qu’ils s’intégreraient plus facilement dans notre pays que des fidèles d’autres confessions.

Au-delà des appartenances politiques, on peut imaginer qu’ils sont nombreux ceux qui peuvent partager le sentiment exprimé par le secrétaire général de l’UDC Vaud, Kevin Grangier:

Laisser entrer prioritairement des réfugiés avec qui nous avons des racines et des valeurs communes, et qui sont précisément persécutés pour ça, a du sens pour moi.»

Les choses ne sont pourtant pas si simples. Paradoxalement aussi, des milieux chrétiens traditionnellement favorables à un droit d’asile élargi prennent cette idée d’une préférence religieuse avec des pincettes. Faisant valoir que c’est la persécution qui doit rester le critère, indépendamment des croyances au nom desquelles on est persécuté.

L’abbé François-Xavier Amherdt explique ainsi dans Le Matin Dimanche que certes «tout ce que pourrait faire la Suisse pour accueillir autant de chrétiens que possible serait à saluer». Avant d’ajouter ce bémol de taille: «Je ne crois pas que ce soit dans la tradition humanitaire de notre pays de placer ainsi des priorités au nom de la religion ou de la culture.»

«Sommes-nous un Etat de droit ou un Etat confessionnel?»

Entretien avec Matthieu Mégevand, historien des religions, écrivain

N’est-il pas normal de vouloir donner la priorité à des réfugiés qui nous sont plus proches?

C’est une réaction émotionnelle tout à fait naturelle. Il y a des chrétiens qui vivent une situation plus difficile que jamais. Mais une aide spécifique serait discriminatoire, contraire à la Convention de Genève, à la loi sur l’asile. Une émotion particulière pour les chrétiens d’Orient à titre individuel est évidemment légitime, mais de la part d’un Etat cela devient beaucoup plus discutable.

Certains mettent en avant que les chrétiens ont une plus grande capacité d’intégration. N’est-ce pas là un critère?

Est-ce parce qu’ils sont chrétiens qu’ils vont mieux s’intégrer que des bouddhistes, des musulmans, des juifs ou des athées? C’est loin d’être sûr. On se fait sans doute une image fausse des chrétiens d’Orient qui sont chrétiens d’une manière culturellement différente de la nôtre. L’Europe est d’ailleurs moins chrétienne qu’autrefois. Même si on était à 90% chrétiens, cela ne serait pas un critère pour accueillir des réfugiés. Cela resterait un critère communautariste. D’autres, notamment l’Etat islamique, fonctionnent comme ça, nous pas, qui sommes dans un Etat de droit. Ce serait une défaite de se mettre à ce niveau-là. C’est la question centrale: sommes-nous un Etat de droit ou un Etat confessionnel?

Même un Etat de droit établit pourtant des priorités…

Le droit d’asile est fixé par des critères relativement objectifs: il faut que la personne soit persécutée, que l’Etat dans lequel elle se trouve ne puisse pas la défendre. Une série de petits critères interviennent ensuite qui ont trait à la situation individuelle. La Suisse est connue pour avoir des critères extraordinairement restrictifs.

Que penser d’autres critères comme un mauvais état de santé, ou le fait d’avoir des enfants?

Ce sont là des critères objectifs de fragilité. On pourrait admettre à cet égard que les chrétiens d’Orient seraient plus en danger que des musulmans persécutés dans les mêmes régions, n’ayant contrairement à eux aucun pays sûr à proximité pour s’y réfugier. Dans ce cas, ce n’est pas la religion qui est déterminante, mais la fragilité, un critère lui tout à fait pertinent.

Laurent Nicolet