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Notre regard

Paulo, 21 ans | «J’essaie de survivre en éclatant de sourire»

Paulo * a 21 ans et vient de Guinée-Bissau. Il est arrivé en Suisse quand il en avait 17. Seul. Le récit de son voyage jusqu’à Genève est long et complexe. Son parcours dans le système d’asile helvétique, par contre, est plutôt expéditif: arrivé à Vallorbe en 2011, juste avant sa majorité, il a reçu une décision négative en 2012. Actuellement, il vit au foyer des Tattes, reçoit l’aide d’urgence et devrait bientôt être renvoyé. Ce jeune homme qui a appris à lire et à écrire dans notre pays aimerait au moins terminer sa scolarité pour pouvoir rentrer chez lui un diplôme européen dans la poche. Il est conscient de la précarité de sa situation, mais il ne «baisse pas les bras, pas encore».

temoignage

Son père et sa mère sont décédés quand il avait tout juste 12 ans. Dès lors, le garçon se retrouve seul, sans frère ni sœur pour l’aider à s’en sortir. Hébergé chez la famille d’un ami, il travaille dans leurs champs pour s’acquitter de sa dette envers eux. Il n’a donc ni le temps ni les ressources financières pour aller à l’école. Trois ans plus tard, il se trouve impliqué dans une grosse altercation avec des jeunes proches du gouvernement. À cause de cela, il est arrêté par la police et emprisonné. Une connaissance l’aide à s’échapper. Paulo décide alors de quitter le pays et de tenter sa chance en Europe. Il traverse à pied la frontière avec le Sénégal et arrive à Dakar, où il passe la nuit dans un chantier. Le jour d’après, il explique sa situation aux ouvriers, qui décident de lui permettre de rester, échangeant son travail avec un lit dans la cave où le personnel range ses uniformes. Deux ans plus tard, une connaissance le met finalement en contact avec un pêcheur sénégalais, qui, attendri par les circonstances de son histoire, lui propose de s’embarquer clandestinement vers les îles Canaries, en Espagne. Il ne lui demande aucune contrepartie financière. Par contre, il explique à Paulo que la responsabilité de sa présence sur le bateau lui revient, et à lui seul. Il ne viendra pas s’assurer que le jeune est vivant, même quand le voyage se prolonge et que ce dernier reste deux jours sans manger.

Arrivé en Espagne, le pêcheur l’accompagne dans un restaurant et lui dit d’attendre un moment. Paulo se rend vite compte qu’il ne va pas revenir. Mais au moins, il a payé son repas. Trois heures plus tard, au moment de la fermeture, le serveur s’approche et lui demande de partir. «Pour aller où?», demande Paulo. Il raconte son histoire. Le patron du restaurant accepte de l’héberger pour la nuit, et, le jour suivant, l’accompagne à un endroit où se réunissent des personnes africaines. On lui conseille d’aller voir sur les chantiers s’il peut y trouver du travail.

Paulo travaillera trois mois aux îles Canaries. Son pécule, 300 euros, lui offre un «billet» pour le Portugal. Il sera transporté clandestinement en avion-cargo à Madrid, d’où il prendra un bus pour Lisbonne. Il sait que l’oncle de l’ami chez lequel il vivait en Guinée-Bissau se trouve là-bas. Après une semaine de recherches, Paulo réussit à se mettre en contact avec lui. Ils vivront ensemble dans le quartier du Rossio plusieurs années, jusqu’à son décès. Paulo, qui n’a pas réussi à obtenir un permis de séjour portugais, décide alors de partir en direction de la Suisse. Il sait que le fondateur de la Croix-Rouge, un de ses modèles, vient d’ici.

Il demande l’asile à Vallorbe et est attribué au canton de Genève, au foyer d’Anières. En novembre 2012, il reçoit une décision négative. Il est alors transféré aux Tattes, où il partage une chambre avec deux autres jeunes hommes africains. Entretemps, il a eu la possibilité d’aller à l’école, d’apprendre à lire et à écrire, possibilité qu’il a saisie avec beaucoup d’enthousiasme et de persévérance.

Le quotidien de Paulo est rythmé par les cours, tous les jours sauf le jeudi après-midi, par le foot avec des amis et par la télévision. Parfois, il va danser dans des clubs, comme tous les jeunes de son âge. Cela lui permet de se défouler.

Pendant l’entretien, il cite plusieurs fois des séries, ou des films. Il en tire des exemples pour m’expliquer sa vision du monde et du bonheur. Son rêve serait de commencer un apprentissage dual dans le domaine de la vente, dès l’année prochaine, sa scolarité obligatoire prenant fin en juin. Il a de bonnes notes, plusieurs certificats de stage et des lettres de recommandations. Le premier obstacle à surmonter est de trouver un employeur. Il attend en ce moment la réponse d’un grand magasin d’alimentation. Mais comment surmonter le deuxième obstacle: l’absence de permis de séjour? Paulo a été à plusieurs permanences juridiques et la réponse est toujours la même. Il n’y a pas de possibilité d’ouvrir une procédure de réexamen, et le nouveau droit à l’apprentissage pour les sans-papiers ne s’applique pas aux requérants d’asile déboutés.

Dans l’idéal, Paulo situe son avenir entre la Suisse et la Guinée-Bissau. Il imagine un partenariat commercial entre des entrepreneurs suisses et des travailleurs guinéens, où il fabriquerait des jus de fruits avec les mangues fraîches que l’on trouve partout en Afrique. Tout le monde y gagnerait, lui compris. Ces aller-retours lui permettraient de rester en contact avec les deux réalités et d’aider ses compatriotes. Mais pour cela, il faudrait qu’il puisse rester ici. En attendant, il essaye de trouver le moyen de «survivre en éclatant de sourire».

Nora Bernardi