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Le Courrier | Agora: Rizgar a pris la décision de retourner chez lui

Permis B refusé après sept ans passés en Suisse: Rizgar a dû se résoudre à rejoindre le Kurdistan irakien. Sans nouvelles depuis août, sa famille d’accueil vaudoise retrace le parcours du jeune Kurde.

Contribution de Claude Roshier parue dans le Courrier du 30 septembre 2014. Pour la lire sur le site du Courrier, cliquez ici.

A la suite d’une chronique d’Anne-Catherine Menétrey (1) ainsi que d’autres articles concernant l’accueil des requérants d’asile, nous souhaitions partager une histoire, celle de Rizgar – jeune Kurde irakien – qui vécut dans notre famille pendant quatre ans.

Il y a sept ans, Rizgar arrive de Bagdad. Sa demande d’asile ayant été refusée, il est enfermé à Frambois pendant plusieurs semaines, conduit deux fois à l’aéroport et finalement relâché de prison en raison de son refus déterminé d’être renvoyé en Irak. C’est à la suite de ces péripéties douloureuses qu’il arrive chez nous.

Jeune homme réservé, il conquiert pourtant rapidement toute la famille par son sourire, sa bonne humeur, sa curiosité et son envie constante d’aider, de comprendre, de s’intégrer. Il se fait aussi des amis, se crée un réseau, joue au golf, coupe les cheveux de connaissances et propose son aide aux amis et voisins. Il n’a pas le droit de travailler, alors que plusieurs patrons lui proposent régulièrement du travail.

Dès qu’il le peut, il entame les démarches pour obtenir un permis B, selon l’article 14 de la loi sur l’asile. Son dossier comporte non seulement une pétition signée par une soixantaine de personnes, mais aussi plusieurs offres d’emploi sérieuses. Le Grand Conseil vaudois, impressionné par sa maîtrise du français et sa retenue pudique lors de l’audience devant la commission, accepte et soutient la demande de Rizgar. En temps voulu, son dossier est transmis à Berne, preuve supplémentaire que le canton soutien sa demande.

Et pourtant, cette revendication d’un droit est refusée, sous prétexte que son intégration n’est pas assez poussée, alors que même le renvoi de Rizgar, Kurde irakien, n’est pas possible. Une lettre de la commune témoignant de la personnalité et de l’intégration de Rizgar n’a pas changé le cours de la pensée fédérale: un recours est déposé, mais Rizgar a compris qu’il n’obtiendrait pas le droit de faire sa vie en Suisse.

Alors, avant que cela ne lui soit signifié plus clairement et par crainte d’un retour à Frambois, Rizgar prend la décision de retourner chez lui. Pendant cette période, nos échanges évoquent cette vie bloquée, un avenir impossible: Rizgar souffre de voir ses amis se marier, devenir pères, avoir un travail et lui de toujours rester dans une zone grise, sans droits, sans papiers d’identité.

Il part pour Arbil le mercredi 18 juin 2014, alors que l’avancée des troupes djihadistes provoque l’exil de milliers de personnes.

Le choc du retour est rude, Rizgar peinant à comprendre les réactions de ses compatriotes, se sentant «bizarre» et déphasé. Il exprime son désarroi, la perte d’un ami tué par un sniper. Néanmoins, il parle d’ouvrir une boutique de coiffeur, a même trouvé un endroit pour ce faire.

Maintenant, il y a la guerre, les réfugiés. Dans son dernier message datant du 8 août, il exprime sa peur: «Les gens partent en voiture, moi je n’ai rien. Alors je vais me cacher pour quand ils viendront. Ils sont fous, ils tuent les enfants, prennent les femmes pour leur plaisir et après ils les tuent. Il fait très très chaud. J’ai peur. J’espère qu’ils n’arrivent pas ici.»

Depuis, nous n’avons plus de nouvelles. Plus qu’un simple récit, cette histoire tristement banale d’une trajectoire migratoire nous laisse le goût amer d’une sensation d’un partage qui aurait pu se terminer autrement, dans une dignité respectueuse. Rizgar, las d’attendre une hypothétique autorisation de vivre comme tout le monde, est parti au plus mauvais moment. Les amis suisses qui ont accueilli Rizgar s’interrogent, évoquent leur tristesse de ce départ injuste. Certes, nous n’avions pas à intervenir dans son choix, mais chacun garde en lui une rancune, une tristesse: de par les refus répétés, et malgré les soutiens officiels du canton et de la commune, Rizgar a été acculé à prendre la décision de partir. Ce n’était plus un choix, mais une nécessité: la seule dignité qui lui restait.

1) «Larmes de pluie, larmes de guerre», Le Courrier du 6 août 2014.