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Opinion de Boris Wijkström | Strasbourg: la statistique des recours n’enfonce pas la Suisse

Boris Wijkström, du Centre suisse pour la défense des droits des migrants (CSDM), contredit les propos de Marie-Hélène Miauton dans sa chronique «Droits de l’homme» du 10 octobre dernier.

Opinion de Boris Wijkström, publiée dans Le Temps, le 10 novembre 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Temps.

Dans le débat public, nous assistons à une multiplication de critiques toujours plus virulentes dirigées à l’encontre des «juges étrangers» qui, supposément, usurpent les pouvoirs du peuple suisse souverain. On constate que ce débat est souvent mal informé, que des conclusions sont prises sur des amalgames et des statistiques fantaisistes.

La chronique de Marie-Hélène Miauton intitulée «Droits de l’homme» (LT du 10.10.2014) en est une illustration. L’essentiel de son argumentation pour contester le pouvoir exorbitant des juges étrangers se fonde sur le taux de réussite des recours effectivement traités par la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Suisse. L’auteure affirme que la Suisse aurait subi «14 revers sur les 24 recours déposés en 2012 et 2013», ce qui signifierait que dans plus de la moitié des cas, cette juridiction a condamné la Suisse pour des violations des droits humains. Une telle statistique pourrait étonner. Elle donne l’impression que Strasbourg a le souverain suisse dans le collimateur.

Or, les chiffres donnés par Madame Miauton sont erronés. Selon les statistiques fournies par la CEDH, en 2012/2013 la Cour a été saisie de 1559 recours contre la Suisse, et non pas de 24. La vaste majorité de ces recours ont été déclarés irrecevables. La CEDH a estimé dans la plupart des cas qu’ils ne relevaient pas de violations au sens de la Convention, ou que les instances Suisses avaient respecté les droits des intéressés. Sur la totalité des recours dirigés contre la Suisse en 2012 et 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a finalement admis des violations des droits fondamentaux dans 12 affaires. Le taux de réussite pour les requérants est donc inférieur à 1%. On est assez loin des 60% de condamnations allégués par la chroniqueuse. La vérité est que la CEDH estime que dans l’écrasante majorité des cas portés à son attention, il n’y a rien à reprocher aux instances suisses.

Il importe d’analyser ces enjeux avec précision et rigueur, car ils sont de taille. Pour rappel, la Cour européenne des droits de l’homme a été instituée après la Seconde Guerre mondiale afin de mieux assoir les valeurs démocratiques fondamentales, l’idée étant que cette assise passe par l’affirmation des libertés et des droits fondamentaux de tout un chacun. N’oublions pas non plus le rôle joué par la xénophobie dans les pires atrocités de cette guerre. La Convention était alors considérée par les Etats européens comme étant essentielle pour éviter tout retour à la barbarie, quitte à renoncer à une part de leur souveraineté. Aujourd’hui, il faut être aveugle pour ne pas remarquer que la scène politique européenne est à nouveau sous l’emprise de forts courants nationalistes ou même racistes, et qu’on assiste à une banalisation de la haine envers l’étranger dans le discours public. Le fait que les plus virulentes critiques dirigées contre la Cour européenne des droits de l’homme concernent précisément les décisions qu’elle prend à l’égard des étrangers – la chronique citée ainsi que le discours britannique auquel elle fait référence constituent des exemples – n’est donc pas un hasard. Ces réactions montrent que face aux courants politiques xénophobes de plus en plus puissants, le rôle de la cour à Strasbourg comme ultime gardien des droits fondamentaux, notamment de cette population sans voix politique, devient de plus en plus important.