Aller au contenu
Documentation

IRIN | L’initiative du Bangladesh de rapatrier des Rohingyas au Myanmar suscite l’inquiétude

Le Bangladesh a annoncé cette semaine qu’il renverrait plus de 2 000 réfugiés musulmans rohingyas au Myanmar, suscitant l’inquiétude de les voir retourner à une situation qui ne cesse de se détériorer.

Article paru sur le site de l’IRIN, le 8 septembre 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’IRIN.

«Le Myanmar a accepté de rapatrier 2415 ressortissants birmans vivant actuellement dans les camps de réfugiés de Cox’s Bazar [sud-est du Bangladesh]», a dit à IRIN Shahidul Haque, qui travaille comme secrétaire au ministère des Affaires étrangères à Dacca. «Nous considérons que c’est un grand pas en avant. Ils attendent depuis 2005 que leur statut soit vérifié [pour être rapatriés].»

Les Rohingyas sont victimes de persécution et de discrimination depuis de longues années, et sont notamment considérés apatrides aux yeux de la loi birmane. Le gouvernement birman prétend qu’historiquement, les Rohingyas sont des immigrants illégaux venus du Bangladesh, et les taxe de «Bengalis» en niant farouchement l’existence d’un peuple rohingya. Le gouvernement bangladais souhaiterait que les réfugiés rohingyas vivant sur son territoire soient rapatriés.

Depuis les déchaînements de violence – qualifiés de nettoyage ethnique des Rohingyas par certains – qu’a connus le Myanmar en 2012, 140’000 personnes (essentiellement des Rohingyas) vivent en camp dans l’État de Rakhine.

Entre 200’000 et 500’000 Rohingyas vivent au Bangladesh, selon le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Parmi eux, seuls 32’355 possèdent des documents d’identité et vivent dans deux camps gérés par le gouvernement avec l’assistance du HCR, situés à moins de 2 km de la frontière birmane. La plupart vivent dans des campements informels ou dans les villes dans des conditions qualifiées de «déplorables» par Médecins sans frontières (MSF).

Entre 1992 et 2005, près de 230’000 Rohingyas ont quitté le Bangladesh pour rentrer au Myanmar en vertu d’un accord passé entre les deux gouvernements. Mais le processus de rapatriement a été suspendu lorsque le gouvernement birman a refusé de reconduire l’accord

La décision de reprendre le processus de rapatriement a été annoncée au terme d’un huitième cycle de négociation entre les deux pays, qui s’est tenu à Dacca le 31 août.

« Les deux parties ont convenu de commencer à travailler à la formation d’un comité mixte dans les deux mois à venir, exclusivement consacré à la question du rapatriement des réfugiés et de leur progéniture », a expliqué M. Haque en ajoutant que le rapatriement commencerait une fois que le comité mixte serait en place.

Onchita Shadman, chargée de l’information publique et de la communication pour le HCR à Dacca, a expliqué : «Nous avons appris l’existence d’un accord entre les deux pays et nous sommes impatients d’en savoir plus sur le rapatriement proposé».

Tandis que les détails restent à définir par le comité, les réfugiés rohingyas du Bangladesh ont accueilli l’annonce avec des sentiments partagés – la perspective de retourner chez eux est à la fois source d’excitation et d’anxiété. La vie au Bangladesh en leur qualité de réfugiés est difficile ; mais la situation humanitaire de l’État de Rakhine, que les Rohingyas considèrent comme leur terre natale, s’est dégradée ces derniers mois avec le retrait de plusieurs organisations humanitaires suite à des attaques perpétrées contre leurs infrastructures en mars, liées à des accusations de favoritisme à l’égard des Rohingyas.

Les «effroyables» camps de PDID de Rakhine

En mars, des travailleurs humanitaires internationaux ont quitté l’État de Rakhine après avoir été pris pour cible par des émeutiers bouddhistes qui lançaient des pierres contre des maisons et des bureaux à Sittwe (la capitale de Rakhine), au motif d’un prétendu parti-pris de la communauté humanitaire favorisant les Rohingyas. Les organisations ont depuis progressivement repris leurs activités.

Lors d’une visite des camps pour personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) de l’État de Rakhine le 13 juin, la Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires et coordinatrice adjointe aux secours d’urgence Kyung-wha Kang, a qualifié la situation «[d’]épouvantable, avec un accès totalement insuffisant aux services de base comme la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement».

Mohammad Islam, un réfugié rohingya vivant au camp de Noyapara, à Cox’s Bazar, a dit à IRIN : «Je suis vraiment reconnaissant au gouvernement bangladais pour l’initiative qu’il a prise. Nous serions vraiment ravis si ne serait-ce que quelques-uns d’entre nous pouvaient retourner en Birmanie, parce que c’est chez nous».

Mais le jeune homme de 30 ans a ajouté au bord des larmes: «Notre principale inquiétude est de savoir si nous serons en sécurité en Birmanie. Nous n’y avons pas le moindre droit. Nous n’y avons pas la moindre dignité en tant qu’êtres humains. Nous n’avons pas droit à notre identité. Nos propriétés et nos institutions religieuses sont détruites. Comment peut-on être sûrs que nous y serons en sécurité?»

Des retours problématiques

D’après Mme Shadman, «le HCR espère que les rapatriements se feront sur la base du volontariat et dans le respect des normes internationales de manière à garantir la sécurité et la dignité des réfugiés».

Cependant, la détérioration de la situation et les tensions continues auxquelles l’État de Rakhine est en proie suscitent l’inquiétude de certains, qui craignent que le retour s’avère dangereux pour les Rohingyas.

«Nous sommes prêts à rentrer, mais craignons d’être à nouveau confrontés aux problèmes de persécution qui nous ont poussés à fuir la Birmanie autrefois», a dit Mohammad Zubair, 26 ans, un réfugié rohingya du camp de Noyapara. «Mais compte tenu des circonstances, si nous rentrons, qui peut garantir que nous serons en sécurité là-bas? J’en appelle au gouvernement bangladais et à la communauté internationale pour qu’ils créent une atmosphère favorable pour les Rohingyas afin que nous soyons en sécurité à notre retour en Birmanie.»

D’après M. Islam, entre 1992 et 2005 «plus de 200’000 Rohingyas ont été rapatriés en Birmanie, mais pas moins de 77 pour cent l’ont été sous la contrainte. Ils ne voulaient pas rentrer, car ils avaient de ne pas être en sécurité là-bas».

Les tentatives passées de rapatriement des Rohingyas vivant au Bangladesh ont été problématiques, soulignent les observateurs.

«Le rapatriement des Rohingyas, que les gouvernements bangladais et birman ont initié en septembre 1992, a posé problème dès le départ», a dit Human Rights Watch en rappelant que le HCR s’était retiré du programme de rapatriement qu’elle conduisait avec les autorités bangladaises en décembre 1992, quelques mois seulement après son lancement «quand il est devenu évident que la coercition se poursuivait».

En 2011, une première tentative de rapatriement des 2 415 personnes (dont la nationalité birmane a été confirmée) concernées par l’initiative actuelle avait également échoué, mais M. Haque a dit à IRIN qu’il était confiant dans l’issue positive du processus cette fois-ci.

Le ministre adjoint birman aux Affaires étrangères U Thant Kyaw a expliqué dans un communiqué que le Myanmar était prêt à accueillir les 2 415 citoyens birmans une fois que le comité mixte aura été constitué, en ajoutant toutefois: «Nous n’avons jamais eu de ressortissants d’ethnie «rohingya» selon la liste officielle des groupes ethniques indigènes du Myanmar et selon nos archives».