Aller au contenu
Documentation

Le Courrier | «Le droit humanitaire n’a pas connu d’âge d’or»

La Suisse célèbre cette année les cent cinquante ans du droit de la guerre. Mais peut-on réellement humaniser la guerre? Interview.

Article publié dans Le Courrier, le 11 novembre 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Genève, 22 août 1864. A l’initiative du Genevois Henri Dunant, bouleversé par le sort des blessés lors de la bataille de Solferino cinq ans plus tôt, douze Etats européens signent la première Convention de Genève. Un événement qui marque la naissance du droit humanitaire, lequel fixe des règles pour protéger les blessés et les civils en temps de guerre, et permettre le travail des secouristes. Mais alors que l’on célèbre les 150 ans de ce droit, qui compte aujourd’hui une dizaine de traités et une vaste jurisprudence, celui-ci semble plus bafoué que jamais, que l’on pense aux bombardements de civils, d’ambulances et d’hôpitaux par Israël à Gaza, ou aux massacres en Syrie, en Irak ou en République démocratique du Congo. Le droit de la guerre, jus in bello, sert-il encore à quelque chose à une époque où les civils sont les principales victimes des conflits armés? Réponse de Robert Roth, directeur de l’Académie internationale de droit humanitaire et de droits humains à Genève.

La situation s’est-elle vraiment aggravée ces quinze dernières années sur le plan des violations du droit humanitaire?

Robert Roth: En 1974, Jean Pittet, un Genevois qui a joué un rôle fondamental dans la mise en œuvre du droit humanitaire au CICR, disait: «Jamais la violence n’a atteint un tel niveau qu’aujourd’hui. Rarement l’homme a été aussi inhumain.» 1974! Une époque qui nous apparaît comme la fin des Trente Glorieuses, perçue comme moins belliqueuse. Les acteurs humanitaires ont souvent l’impression qu’ils se trouvent au pire moment.
En réalité, je ne pense pas que la situation s’est aggravée aujourd’hui. On est très choqué par la violence, qui est plus médiatisée de nos jours. Si on avait eu des images en direct d’Auschwitz ou du génocide cambodgien, vous vous rendez compte du choc! Il n’y a pas non plus eu un âge d’or. Obtenir son respect reste un combat de tous les instants.

Le droit humanitaire est-il en fin de compte réellement utile ou sert-il uniquement de cache-sexe à la guerre?

Au sortir du XXe siècle il est difficile de parler de triomphe du droit humanitaire. Avec les millions de morts des guerres mondiales notamment. Mais sur le long terme, je crois aux graines que l’on fait germer. L’objectif de la première réunion du Comité de la Croix-Rouge convoquée en 1863 par Moynier, Dunant et Dufour était de développer un arsenal juridique amenant les Etats à comprendre qu’ils doivent respecter des principes pour éviter les atrocités des conflits.

Alors que lors de la guerre de 1870 entre la France et l’Allemagne, les deux Etats rejetaient en bloc ces principes, peu après leur naissance, ces pays sont aujourd’hui parmi les plus convaincus de la nécessité de leur application. En Europe, la bataille a été gagnée. Personne ne remet en cause l’adhésion aux Conventions de Genève. Depuis la fin de la guerre d’Algérie (1962 ndlr), les Etats européens respectent grosso modo le droit humanitaire.

Et si les acteurs humanitaires peuvent agir aujourd’hui lors des conflits armés, c’est grâce aux Conventions de Genève. Au quotidien, ils les invoquent sur le terrain face aux chefs de guerre et aux politiques en les rappelant à leurs obligations.

La nature des conflits a connu de grands bouleversements. Le droit humanitaire a-t-il su s’adapter?

Le droit humanitaire est né à une époque où la guerre était menée entre des Etats, ou alors il s’agissait de guerre civile, comme la Guerre de sécession aux Etats-Unis. Les parties étaient bien identifiées. Le phénomène le plus frappant de la seconde moitié du XXe siècle a été la multiplication et la diversification des acteurs. La Syrie en est un très bon exemple. Nous avons en présence un Etat face à une série de groupes armés non étatiques. La question de savoir s’ils sont astreints ou non au droit humanitaire est extrêmement délicate.

Un gros travail a été fait, en particulier par des ONG tel Geneva Call pour amener les groupes armés non étatiques à respecter le droit. Comment imposer des obligations à des groupes qui n’ont pas la capacité juridique de signer des traités? Les obligations des Conventions de Genève ne sont applicables qu’à des Etats qui les ont ratifiés. Sur ce thème, une avancée a été obtenue: un code de conduite volontaire a été élaboré, sous l’impulsion de la Suisse, pour les sociétés de sécurité privée.