Aller au contenu
Documentation

Le Courrier | Quand l’asile nuit à la santé mentale

VAUD – Les troubles psychiques sont fréquents chez les requérants d’asile. En cause, des traumatismes anciens, le parcours migratoire et les conditions de vie en Suisse.

Article de Sophie Dupont, publié dans Le Courrier, le 11 décembre 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Dans la salle d’attente du Centre de santé infirmier de Béthusy, à Lausanne, les premiers patients viennent se mettre au chaud dès l’ouverture. A l’entrée, un tableau avec des pirogues africaines rappelle les longues traversées que certains ont endurées pour arriver jusqu’ici.

Tous les requérants d’asile sont reçus pour un premier bilan de santé puis suivis par l’un des sept Centres de santé infirmiers (CSI) vaudois. Les centres, qui dépendent de la Polyclinique médicale universitaire emploient quinze infirmiers et infirmières pour un bassin d’environ 5000 requérants.

Gwenola Seroux, infirmière au CSI de Béthusy, a rendez-vous avec un patient arrivé sur sol vaudois il y a quelques semaines, pour un premier bilan de santé. «Vous pouvez retirer votre veste» dit l’infirmière au requérant qui tient un sac à dos serré sur ses genoux. M. Diallo (nom d’emprunt) commence par s’excuser pour son retard, dans sa langue d’origine, traduite par une interprète: parce qu’il a oublié sa carte d’identité en arrivant à l’abri de protection civile où il loge, il a passé la nuit dehors. Sans document, les agents de sécurité de l’abri lui ont refusé l’entrée mais permis d’accéder à son casier, afin de prendre quelques vêtements chauds. «Je me suis rendu au commissariat, mais je n’ai pas pu annoncer la perte. Cela coûtait cinquante francs, que je n’avais pas»,  rapporte le patient.

«Fuir la réalité»

Le jeune homme, de 18 ans selon ses papiers mais qui en paraît plus, a quitté son pays d’Afrique de l’Ouest en janvier dernier. Après avoir séjourné en Espagne, il s’est rendu en Suisse pour fuir la crise économique. Interrogé sur sa santé, il parle d’un stress permanent. La journée, il se connecte à internet, où il regarde des films et des pièces de théâtre de son pays, afin de «fuir la réalité». «Mais au bout d’un moment, je ne sais plus que faire, les pensées négatives me rattrapent. La vie est limitée entre le bunker (l’abri PC, ndlr) et Mama Africa (nom donné par les requérants aux centres d’accueil de jour, ndlr). Si on veut un jour se construire, il faut aller à l’école, apprendre un métier, travailler pour subvenir à ses besoins. Rester sans occupation, c’est déstabilisant», lâche-t-il.

Gwenola Seroux ne s’inquiète pour l’instant pas pour la santé mentale de son patient, qu’elle juge lucide et bénéficiant suffisamment de ressources. «Sans projet, vous êtes bloqués, c’est normal que cela provoque du stress», le rassure l’infirmière. Très fréquents parmi ceux qui logent en abri PC, ses troubles du sommeil sont «à surveiller». Ses symptômes somatiques – maux de ventre, tremblement des mains – feront l’objet d’un examen plus précis.

Dégradation progressive

A leur arrivée, les migrants sont en meilleure santé que la population du pays d’accueil, selon plusieurs études. Les personnes les plus vulnérables ont en effet plutôt tendance à renoncer à la migration. L’arrivée en Suisse, objectif souvent longtemps attendu, agit comme un moteur stimulant. Puis la réalité – conditions d’hébergement difficiles, impossibilité de travailler, attente – rattrape rapidement les requérants. Des traumatismes vécus pendant le parcours migratoire ou dans le pays d’origine peuvent alors refaire surface. D’autres, liés aux conditions d’accueil, apparaissent. «Certaines personnes vont mal. D’autres ont encore assez de ressources pour se battre», constate Gwenola Seroux.

Les décisions de renvoi, assorties du passage à l’aide d’urgence, sont un coup de massue et facilitent le développement de certains troubles psychiques. L’infirmière donne l’exemple d’un requérant débouté de 22 ans, actuellement en décompensation psychique à l’hôpital psychiatrique de Cery. A son arrivée en 2011, le jeune homme avait failli être expulsé, puis avait finalement été admis provisoirement. Il avait pu travailler et vivre dans un appartement. Tous ses espoirs se sont écroulés lorsqu’il a reçu une décision de renvoi, a dû quitter son logement et son emploi pour vivre à l’aide d’urgence. «C’était au départ un jeune homme autonome, qui ne présentait pas de problèmes psychiques», rapporte Gwenola Seroux.

«Depuis cinq ans, j’ai l’impression que la santé mentale des requérants s’est dégradée. D’une part, les conditions d’accueil se sont durcies, avec une restriction de l’aide sociale et médicale, d’autre part, les patients issus des dernières vagues migratoires, en particuliers les Syriens, ont subis des traumatismes dans leur pays d’origine et leur parcours», observe Francis Vu, docteur à la PMU.

Des parcours traumatisants

Lors des consultations, les soignants sont attentifs aux signes d’atteinte à la santé mentale récurrents: problèmes de sommeil, besoin d’isolement, colères, pleurs, troubles de concentration, crises d’angoisse, flashbacks de souvenirs de leurs pays, développement de dépendances. «Nous prévenons les patients que nous avons l’habitude d’entendre des histoires horribles, ce n’est pas évident de parler directement d’un traumatisme.»

Le type de voyage et sa durée, qui peut atteindre dix ans, sont des indicateurs important des risques pour la santé mentale. Les Erythréens ont généralement séjourné dans des camps de réfugiés dans des pays limitrophes et affronté la mort de compagnons de route pendant la traversée du désert. Beaucoup sont passés par la Lybie, où ils ont travaillé et ont parfois fait de la prison pour séjour illégal avant de tenter plusieurs traversées de la Méditerranée. Les Syriens, Iraniens, Afghans et Kurdes arrivent après de longues marches dans la montagne, par la Grèce ou par l’Italie. «Ils perdent tous leurs biens, leur statut. Certains étaient touristes à Genève quelques années auparavant», rapporte Gwenola Seroux. Les migrants solitaires et les femmes, qui subissent fréquemment des violences sexuelles durant leur parcours, sont particulièrement vulnérables.

«Pour soigner une personne au niveau psychique, il faut améliorer son quotidien», rapporte Francis Vu. Dans le cas des requérants d’asile, c’est une mission quasiment impossible. «Ce qui compte, c’est ce qu’on fait malgré cela. Lorsqu’on ne peut pas changer sa situation, écouter une personne, la reconnaître en tant que telle, c’est déjà beaucoup», conclut Gwenola Seroux.

Le parlement vaudois ne compte pas modifier la prise en charge médicale

Hier, le Grand Conseil vaudois, à majorité de droite, a estimé que la prise en charge des requérants était suffisante. Il a en effet refusé à une voix près un postulat de la commission de la santé publique demandant au Conseil d’Etat un rapport sur la prise en charge socio-médicale des requérants d’asile. La commission avait déposé ce postulat à l’unanimité, après avoir auditionné des représentants du corps médical. Médecin chef à l’Hôpital de l’enfance de Lausanne, le docteur Mario Gehri s’est notamment inquiété des répercussions des conditions d’accueil sur le développement des enfants en bas âge. Au plénum, le Conseiller d’Etat Philippe Leuba a estimé que le canton faisait suffisamment d’efforts pour l’asile, avec un budget de 130 millions par année. Il a rappelé que l’Etablissement vaudois des migrants (Evam), surchargé, n’arrivait pas à prendre en compte tous les facteurs médicaux.

Actuellement, les situations les plus critiques passent devant une «Commission des populations vulnérables» composée de médecins de la PMU. Celle-ci évalue les indications à changer de conditions de logement pour raison de santé et fait des recommandations à l’EVAM. Les troubles psychiques sont largement en tête de liste des dossiers examinés par la commission. En 2012, dans plus de 70% des cas, les médecins font état d’au moins un diagnostic psychiatrique. Les tentatives de suicide concernent 25% des cas. «Compte tenu de la jeunesse des personnes concernées (en moyenne 33 ans chez les adultes), leur état de santé paraît préoccupant», analysent des médecins dans la Revue médicale suisse (19.09.2012). «Il paraît vraisemblable que les conditions difficiles de l’aide d’urgence ont un impact sur la santé psychique, en
aggravant les troubles psychiatriques préexistants, voire en favorisant l’apparition de nouveaux troubles» poursuivent les cliniciens. SDT