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Fini de rire | L’intérêt supérieur de l’enfant étranger?…

Récit de l’enfermement ordinaire de jeunes étrangers isolés, sous une accusation ordinaire de fraude sur leurs pièces d’identité. La chasse aux « fraudeurs » tient trop souvent lieu de politique d’accueil des enfants étrangers.

Billet publié sur le blog « Fini de rire« , le 21 décembre 2014. Cliquez ici pour lire l’article complet sur le blog Fini de rire hébergé par Mediapart.

MiCRAcosme est une nouvelle publication qui « a pour vocation de témoigner de la situation des personnes enfermées au centre de rétention administrative de Bordeaux et de faire le lien entre ce lieu de privation de liberté et l’extérieur. Ainsi, elle cherche à rendre visible une réalité cachée et rétablir certaines vérités face à la propagation des préjugés ». Extrait.

« Il est toujours frappant de constater le gouffre entre la loi et son application. L’histoire racontée ici se finit bien mais elle illustre les limites de la Justice et de son principe d’égalité appliqué aux enfants étrangers.

Pourtant la loi l’affirme, peu importe l’obstacle que l’enfant rencontre, ou même qu’il représente, il doit être considéré comme un être vulnérable, et son intérêt supérieur doit surpasser toute autre considération. Qu’il soit français ou pas. Il est donc interdit d’expulser un enfant seul du territoire français. Plus encore, un mineur étranger dit «isolé» doit être pris en charge par l’État.

Pourtant, lorsque j’arrive au centre de rétention ce lundi 13 octobre 2014, deux jeunes se présentent à moi comme mineurs. Il ne s’agit pas d’une simple allégation orale: Ils ont tous les deux un acte de naissance de leurs États respectifs. Plus encore, l’un deux a un passeport délivré par les autorités consulaires à Paris.

Ces deux jeunes sont arrivés seuls en France et ont été pris en charge par l’État. Mais quelques mois plus tard, l’administration leur reproche d’avoir menti sur leur âge.

Sur quel fondement? Sur la base de tests scientifiques que l’Académie internationale de médecine a pourtant condamnés. Mais l’administration française n’a peur de rien: Elle pratique des examens médicaux sur ces deux jeunes et en déduit qu’au vu des résultats qui affirment une potentielle majorité – comme une potentielle minorité- ils ont menti et sont donc placés en garde à vue pour faux et usage de faux.

Ils ont tous les deux un domicile connu par l’administration (c’est elle qui les a domiciliés), l’un est scolarisé, mais face à ces deux étrangers présumés délinquants, le placement en rétention est jugée la seule alternative possible.

Ces deux jeunes ne comprennent pas pourquoi ils sont enfermés sur décision de l’administration. Devant le juge, le jeune scolarisé prend la parole et explique que son seul souhait est de retourner à l’école.

A la grande surprise, les différents magistrats de Bordeaux qui auront la responsabilité d’étudier leur dossier suivent la position de l’administration et confirment la rétention, dans l’attente de la réponse des autorités consulaires et afin de les renvoyer «chez eux».

Pour l’un la situation est claire: Si le consulat le reconnait ressortissant de son État, il ne sera pas renvoyé puisque (il a de la chance!) son pays subit l’épidémie du virus Ebola, ce qui empêche temporairement tout renvoi. Aux yeux de l’administration ce jeune a menti sur sa minorité, il a donc pu mentir sur sa nationalité ce qui justifie son passage devant un consulat, préalable à une éventuelle libération.

Pour le second la situation est cocasse: il doit se présenter à l’ ambassade, celle-là même qui lui a délivré son passeport quelques mois auparavant.

Nous sommes donc en présence de deux jeunes escrocs, dont l’un a réussi à tromper des autorités consulaires.

A l’audience, le représentant préfectoral insinue ce manque de discernement des autorités étrangères, comme il affirme que les autorités françaises sont régulièrement trompées. Les administrations spécialisées dans la délivrance de documents officiels seraient donc défaillantes, françaises comme étrangères. Cet argumentaire pour le moins douteux, suffira à emporter la conviction du juge, qui de toute façon n’est pas là «pour statuer sur la minorité».

Un jeune me raconte son passage au consulat. L’entretien a duré une minute et le Consul est originaire du même village. Troisième information qu’il me donne avec le sourire: Il est parti au consulat en avion pour la première fois de sa vie et s’est vu remettre à cette occasion un diplôme de baptême de l’air. Cette innocence me rappelle à l’ordre. Le lendemain il sera libéré, reconnu par son ambassade. Il n’avait donc pas menti, mais plutôt que d’enquêter préalablement comme l’exige la loi, l’administration a enfermé ce jeune pendant des jours pour finalement le libérer, encore plus isolé, encore plus discriminé. Où se situe ici l’intérêt supérieur de l’enfant?

L’autre jeune est soutenu par ses camarades, ses éducateurs, et plusieurs associations. Il serre les dents. Et quand je viens lui annoncer qu’il est libéré, plus de trois semaines plus tard, il n’exprime aucune joie.

Je me demande quel traumatisme peut s’ancrer dans l’esprit de ce jeune qui a vécu une telle privation de liberté. Ne va-t-elle pas briser l’équilibre qu’il avait tenté de trouver en s’impliquant dans son milieu scolaire?

Plusieurs jours après sa libération, il m’appelle avec une voix joyeuse et je devine son sourire. J’entends ses camarades derrière discuter. Il est en pause. Comme tous les lycéens d’aujourd’hui ».

Équipe de La Cimade au centre de rétention de Bordeaux

Le périodique bordelais MiCARcosme est référencé, avec d’autres publications et documents dans le billet CRA