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Fini de rire | 2015, année avec ou sans Frontex

Frontex, c’est ce programme européen de refoulement des migrants et des chercheurs d’asile, qui depuis dix ans use de moyens militaires sur le terrain et d’activités de « conseillers » auprès des pays frontaliers de l’UE, menant ses campagnes dans la plus grande opacité.

Billet de Martine et Jean-Claude Vernier publié sur le blog Fini de rire, le 1er janvier 2014. Cliquez ici pour lire le billet sur le blog hébergé sur le site de Médiapart.

Le dernier jour de 2014, un drame évité à l’entrée de la mer Adriatique pimente la rubrique des faits divers: 760 personnes syriennes et kurdes embarquées sur un navire filant ses 9 nœuds, sauvées d’un probable naufrage par la marine italienne. ARTE journal du 31 décembre en fait son ouverture. Une fois évoqués les inévitables passeurs criminels, on apprend que les autorités maritimes grecques, alertées par un SOS, n’ont rien remarqué d’anormal et ont laissé le navire poursuivre sa route. Enfin, en pleine nuit, les garde côtes italiens interviennent et les passagers peuvent retrouver la terre ferme à Gallipoli – non sans être qualifiés de clandestins dans le commentaire, alors que ce sont des personnes fuyant la guerre, à la recherche de protection. Puis on voit et on entend un responsable des garde côtes expliquer pourquoi il était nécessaire d’arrêter la course de ce navire: « Un navire tel que celui-ci aurait pu causer de graves dégâts aux côtes de la région. Il aurait pu y avoir de terribles dommages environnementaux, parce que le bateau contenait notamment 9 tonnes de carburant. » Pas un mot sur sa « cargaison » d’humains – gommés, disparus, sans importance pour ce porte-parole officiel…

Que fait la police Frontex? C’est justement le problème: on ne peut pas savoir. Et c’est la question que pose avec insistance le collectif Frontexit, qui s’est donné pour mission « d’informer un large public sur les dérives auxquelles donnent lieu les opérations de Frontex en termes de droits humains, et dénoncer ces dérives auprès des représentants politiques directement impliqués. »

PleinDroit103Le numéro 103 de Plein droit, la revue du GISTI, relate quelques-unes des premières trouvailles du collectif. Extraits.

« Une des fonctions de Frontex est d’empêcher les migrants d’atteindre les territoires européens: à cette fin, non seulement elle intercepte les personnes en «franchissement irrégulier» de la frontière Schengen, mais elle a mis en place un véritable réseau de renseignement qui permet d’anticiper les routes migratoires, et de poster des agents aux points frontaliers les plus «risqués». Parallèlement, l’agence déploie son réseau pour renforcer les capacités de ses partenaires en dehors de l’UE afin qu’ils fassent le travail en amont: grosso modo, c’est un bras opérationnel et technique de l’externalisation des frontières. Et ce, en total irrespect du droit à quitter tout pays y compris le sien, pourtant consacré par le droit international.

Concernant la responsabilité des États ou de l’agence en cas de violation avérée des droits, beaucoup de questions posées par Frontexit sont restées sans réponse ou n’ont obtenu que des réponses partielles. Par exemple, interrogée en 2014 sur le déroulement et les modalités d’une dizaine d’opérations conjointes, l’agence n’a accepté de communiquer que deux plans opérationnels d’intervention (Aeneas et Poséidon, datés de 2012). De plus, une large part des informations contenues dans ces plans opérationnels n’a pas été divulguée, au nom de la «protection de l’intérêt public». Des informations, pourtant basiques, ont été effacées, telle la zone de patrouille. Cela signifie que, même deux ans après la fin d’une opération, il n’est pas possible de connaître le périmètre de la zone d’intervention de Frontex.

En matière de sauvetage, la procédure du règlement européen de 2014 sur les interceptions maritimes et les obligations de patrouilles maritimes de Frontex ne permet pas d’intervenir efficacement dans des situations d’urgence. Ces dernières années on déplore une multiplication des naufrages en Méditerranée, malgré la présence de l’agence. (…) Il n’existe aucune procédure particulière pour s’assurer que l’intégrité physique ou morale des personnes interceptées est respectée; pas plus qu’il n’est précisé de quelle manière les migrants sont informés de leur situation et quelles possibilités de recours s’offrent à eux. (…) Les personnes interceptées sont bien en peine d’identifier qui les a interpellées, de même qu’il est difficile, voire impossible, pour leurs défenseurs de recouper le lieu d’interpellation avec les zones d’intervention de Frontex, celles-ci restant secrètes, même après la fin de l’opération.

Frontex a le droit de négocier des accords dits «techniques» avec les dirigeants de pays non européens, mais l’absence de contrôle démocratique par les Parlements (européens et nationaux) ainsi que le défaut de transparence qui règne dans la négociation et la conclusion de ces accords – pour certains États, il n’existe même pas d’acte écrit pour les formaliser – les rendent d’emblée suspects car leur objectif prioritaire est de faire en sorte que les migrants ne quittent pas le territoire de ces pays, en violation du droit à quitter tout pays.

Frontex est devenu en dix ans l’alibi préféré des principaux gouvernants lorsqu’il s’agit de trouver des solutions «européennes» à des situations de crise aux frontières de l’Europe. (…) Force est de constater que demander la fin de Frontex, en tant que symbole et en tant que bras armé d’une politique extrême, est parfois perçu dans les milieux politiques et associatifs comme un manque de réalisme politique. (…) On entend dire que Frontex serait, à tout le moins, un «bon moyen» pour contrôler les agissements des États aux frontières. Pourtant, depuis la mise en place de Frontex, les États membres ont multiplié les pratiques douteuses et cela, sous les yeux de l’agence.

L’un des aspects les plus inquiétants est sans doute l’impossibilité pour toute personne ou association de voir l’agence Frontex ou les agents opérant en son nom condamnés pour violation ou complicité de violation des droits. Une impossibilité – pour ne pas dire une impunité – que Frontex entend préserver: l’agence a refusé de mettre en place un mécanisme de traitement des plaintes relatives à des violation des droits fondamentaux découlant de son activité, comme le lui demandait pourtant la médiatrice européenne.

Dans un tel contexte, il serait certes naïf de croire que les objectifs politique de Frontexit puissent être entendus par les politiques eux-mêmes. En revanche, les formations mises en place par les organisations membres de la campagne à l’adresse des militants et de la société civile en général restent une voie féconde: le public est de moins en moins dupe devant l’incohérence des politiques européennes et souhaite véritablement un changement de regard sur les migrations internationales. Mais, au delà de cette conscientisation, demeure un sentiment d’impuissance face aux moyen colossaux mis en œuvre par l’Union européenne, dans son approche exclusivement sécuritaire des migrations, au détriment de toute autre considération. »

Un article sobrement intitulé « Faire sombrer Frontex ».