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IRIN | Des enfants marqués à vie par la violence dans les centres de détention pour migrants

Un nombre croissant d’enfants migrants sont placés en détention dans les pays où ils cherchent l’asile, alors que de plus en plus de travaux scientifiques montrent que ce genre d’enfermement génère des difficultés psychologiques et des problèmes de développement à long terme.

Article publié sur le site d’IRIN, le 22 octobre 2014. Cliquez ici pour lire l’article sur le site de l’IRIN.

En 2013, le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant (UN Committee on the Rights of the Child, CRC) a déclaré que la détention des enfants migrants n’est «jamais dans le meilleur intérêt de [l’enfant] et que l’on ne peut la justifier». Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) indique qu’elle doit être guidée par une «éthique de prise en charge – et non pas d’exécution forcée». Mais d’après un article publié dans The Lancet en juin 2014, des enfants migrants sont maintenus en détention dans plus de 60 pays, ce qui a «des effets délétères sur la santé mentale, développementale et physique des enfants».

Des analystes ont condamné cette mesure lorsque, à la suite d’une récente augmentation du nombre d’enfants migrants, il a été découvert qu’un grand nombre d’enfants migrants étaient maintenus en détention aux Etats-Unis. Entre octobre 2013 et septembre 2014, 68’541 mineurs non accompagnés ont été arrêtés le long de la frontière sud, ce qui représente une augmentation de 77 pour cent par rapport à l’année précédente; 70 pour cent de ces enfants ont indiqué qu’ils avaient été détenus au-delà de la durée légale de 72 heures. Human Rights Watch (HRW) indique: «Diverses études de recherche établissent un lien entre la détention des migrants et les conséquences sur la santé mentale des enfants, avec des blessures qui perdurent au-delà de la période de détention».

Lorsque l’Australie – qui a mis en place le célèbre programme baptisé ‘Opération Frontières Souveraines‘ – a annoncé le 19 août 2014 qu’elle libérerait des enfants migrants des centres de détention, des critiques se sont élevées pour montrer les limites du projet – une date limite fixée au 19 juillet 2013 pour l’arrivée et une limite d’âge est fixée à 10 ans. Certaines personnes craignaient que cette décision ne provoque une augmentation des problèmes de santé mentale. Karen Zwi, pédiatre et responsable du département de la Santé infantile communautaire de l’hôpital des enfants de Sydney, en Australie, a dit que le nouveau projet de libération «ne concernera que 16 pour cent des personnes déjà placées en détention». Elle a affirmé que cela risquait d’ «alimenter le désespoir des 745 autres enfants (84 pour cent) qui ne sont pas concernés par la libération».

«Nous observons que les enfants maintenus en détention sont exposés à un large éventail d’expériences négatives de l’enfance (adverse childhood experiences, ACE) pendant une période prolongée», a dit à IRIN Mme Zwi, en faisant référence aux ACE. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en donne la définition suivante: «certaines des sources de stress les plus intenses et les plus fréquemment ressenties par l’enfant», qui vont de la négligence à la violence. «Plus vous y êtes exposés, plus les conséquences en termes de santé physique et mentale seront graves à l’âge adulte», a dit Mme Zwi.

Les preuves se multiplient

Dans une étude de 2014 rendue publique par le Medical Journal of Australia, la majorité d’un échantillon représentatif de pédiatres australiens «considèrent que la détention obligatoire est une forme de maltraitance des enfants». Même parmi les 18 pour cent de répondants «totalement favorables» à la détention des enfants en général, 92 pour cent ont déclaré que «la détention des enfants demandeurs d’asile et de leurs familles est une forme de maltraitance des enfants».

Les preuves des conséquences à long terme de la maltraitance des enfants s’accumulent: une analyse statistique réalisée en 2014 par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a conclu que les mauvais traitements infligés aux enfants, y compris les violences psychologiques liées aux conditions de détention, peuvent avoir des impacts négatifs sur le niveau d’études et le revenu personnel, et provoquer «des dégâts au niveau sociétal, comme les coûts directs et indirects entraînés par la hausse des dépenses sociales et la perte de productivité économique». Ainsi, une étude réalisée en 2013 a estimé le coût économique de la maltraitance des enfants à plus de 160 milliards de dollars dans la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique.

D’après le HCR,  on recense plus de migrants forcés (51,2 millions) aujourd’hui qu’à tout autre moment depuis la Seconde Guerre mondiale – la majorité vient d’Afghanistan, de Syrie et de Somalie. La moitié d’entre eux sont des enfants; au moins 25’000 enfants migrants non accompagnés ont déposé des demandes d’asile en 2013. D’après le Département des Affaires économiques et sociales (DAES) des Nations Unies, le nombre de migrants dans le monde est passé de 154 millions en 1990 à 232 millions en 2013. La Coalition internationale sur la détention des Réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants (IDC) indiquent que les Etats ont de plus en plus souvent recours à la détention et l’organisation non gouvernementale (ONG) Coalition on Migration qu’un million d’enfants migrants sont maintenus en détention à travers le monde.

Exposition à la violence

Les enfants migrants placés en détention subissent le même stress psychologique que les détenus adultes. «Plus un enfant est maintenu longtemps en détention, plus il risque d’être exposé à… des émeutes, des grèves de la faim et de s’infliger des mutilations», a expliqué Oliver White, le responsable des politiques et du plaidoyer pour le Service jésuite des réfugiés (Jesuite Refugee Service, JRS) pour l’Australie.

En Thaïlande et en Indonésie,  HRW rapporte que des enfants migrants placés en détention ont assisté à des bagarres et ont vu des gardiens frapper des détenus. A Malte, qui porte un lourd fardeau en raison de l’arrivée sur ses côtes des migrants qui traversent la Méditerranée, HRW a constaté que des enfants détenus dans les centres de rétention subissaient les violences des autres détenus.

Dans un rapport de 2013 sur la situation dans l’île de Manus – l’Australie y a établi un centre pour examiner les dossiers des demandeurs d’asile qui arrivent par bateau – Amnesty International cite un fournisseur de services présent sur place: «Ces conditions de vie contribuent à l’apparition de problèmes de santé mentale, tels que la dépression, l’anxiété, le manque de sommeil et les traumatismes». Dans un rapport de 2013 sur la situation dans l’île de Nauru, qui accueille un autre site de détention australien, le HCR a constaté « la détérioration de la santé mentale des enfants».

Les chercheurs indiquent que la détention peut avoir des conséquences plus graves chez l’enfant, dont le cerveau, lorsqu’il est exposé à de multiples facteurs de stress négatifs, peut développer de nouveaux câblages – qui subsistent à l’âge adulte – pour organiser la réponse au stress. D’après Mme Zwi, il s’agit d’un processus de création de «voies neuronales» ou de voies dans le cerveau qui permettent la transmission des informations entre les neurones.

«Fondamentalement, le problème, c’est l’environnement menaçant et malsain», a dit Mme Zwi. «Un enfant dont les voies neuronales de la peur sont bien développées a plus de risques de ressentir de la terreur et d’avoir un trouble de la personnalité évitante, ce qui a un impact sur l’apprentissage et sur la manière dont il fera face aux défis par la suite». Cette explication fait écho à une déclaration [  ] de l’UNICEF selon laquelle «des actes de violence modérée ou sévère peuvent altérer le développement du cerveau et compromettre l’avenir d’un enfant».

D’autres personnes évoquent le manque de possibilités de rétablissement après un traumatisme pendant la détention.

«Le processus naturel est celui du rétablissement, mais l’on ne peut y parvenir que dans des conditions de sûreté et de sécurité», a expliqué Belinda Liddell, une psychologue de l’université de New South Wales qui participe au Refugee Trauma and Recovery Programme.  Ce programme a pour objectif de «comprendre les effets psychologiques et neurobiologiques des traumatismes subis par les réfugiés et à trouver des solutions pour le rétablissement».

Mettre fin à la détention

Selon les chiffres fournis par le gouvernement au mois d’août, 876 enfants migrants étaient maintenus en détention en Australie.

L’Australie mène actuellement des programmes de soutien psychologique destinés aux migrants détenus, mais ils sont insuffisamment financés, selon Amnesty International. Cependant, Mme Zwi a dit que, «un soutien psychologique important ne suffit pas à réparer les terribles préjudices subis par les enfants».

En février 2014, la Commission australienne des droits de l’homme, qui a indiqué que le nombre d’enfants migrants détenus avait augmenté depuis sa dernière évaluation de la situation en 2004, a lancé une enquête nationale sur les enfants détenus dans les centres de migrants (National Inquiry into Children in Immigration Detention). Ses conclusions devraient être rendues d’ici la fin de l’année. [  ]

L’analyse menée en juillet 2014 par le Conseil des réfugiés d’Australie sur les données fournies par le gouvernement a montré que, si le nombre total de migrants maintenus en détention avait baissé, les enfants demandeurs d’asile avaient plus de risques d’être maintenus en détention que les adultes, et que la durée moyenne de la détention avait été multipliée par trois depuis septembre 2013.

Le Royal Australian College of Physicians a dit en juin 2014 que le non placement des enfants en centre de détention pour migrants était «le seul moyen de protéger leur santé».

Les militants de la cause des réfugiés partagent cet avis et indiquent que la meilleure réponse est de mettre un terme à la détention des enfants migrants dans le monde. Les alternatives à la détention des migrants qui ont été mises en ouvre dans certains pays – telles que la fourniture d’une aide matérielle et juridique – se sont révélées plus humaines, mais aussi moins coûteuses que la mise en détention.

«La mise en détention des enfants migrants et des familles de migrants constitue une grave violation des droits de l’enfant et une grave violation de la justice», ont déclaré des ONG, comme l’IDC et Terre des Hommes, à l’occasion d’une présentation devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en juin 2014.