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Notre regard

Climage | 40 films en cadeau, dont La Forteresse et Vol spécial

Collectif de réalisateurs lausannois, Climage offre ses documentaires en ligne pour ses 30 ans. Une première en Suisse. Explications avec Fernand Melgar.

Article de Mathieu Loewer, paru dans Le Courrier, le 22 janvier 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Pour voir les films de Climage en ligne, cliquez ici.

Logo_ClimageLes Journées de Soleure, qui débutent aujourd’hui, célèbrent leur demi-siècle au service du cinéma suisse (lire le Mag de samedi dernier). Mais 2015 marque aussi les 30 ans de Climage, association qui réunit les cinéastes lausannois Fernand Melgar, Alex Mayenfisch ou encore Stéphane Goël. Sur les rives de l’Aar, cet anniversaire coïncide avec un Focus sur les collectifs de réalisateurs, en Suisse ou ailleurs. Les membres de Climage participeront également à une table ronde sur les relations entre les cinéastes et la Télévision suisse (SSR), partenaire de longue date des Lausannois, ainsi qu’à un débat sur la diffusion problématique des œuvres du patrimoine en pellicule à l’ère du DCP (Digital Cinema Package). Sans oublier les réjouissances, avec une fête mardi prochain à l’Ueferbau.

L’association annonce surtout à Soleure qu’elle donne libre accès en ligne à son catalogue: une quarantaine de documentaires offerts en partenariat avec la RTS. Et leurs futurs films s’y ajouteront, deux ou trois ans après leur sortie en salles. Une première qui va faire du bruit dans le paysage audiovisuel helvétique. «A l’heure des discussions autour de l’exploitation des films sur internet, les débats risquent d’être vifs avec le milieu», avoue Fernand Melgar. Entretien.

Comment vous est venue l’idée de ce «cadeau»?

Fernand Melgar: Il y a quelques années, Ken Loach a mis en ligne ses films gratuitement. J’ai trouvé l’idée très belle, parce que tout le monde devrait avoir accès à la culture. Or aujourd’hui, pour une classe moyenne qui s’appauvrit, le cinéma est devenu un luxe. Aller voir un film avec mes quatre enfants, ça me coûte 100 francs et je le fais donc rarement.

Pourquoi ne pas exploiter vos films sur des sites de vidéo à la demande (VOD)?

Il y a depuis quelques années une marchandisation des films sur internet. Lorsque j’ai reçu des propositions pour rejoindre SwisscomTV ou des portails VOD, j’ai ressenti une gêne. Nos films financés par des fonds publics – les aides fédérales et la redevance – deviennent sources d’une vaste spéculation. Ils servent de caution culturelle à des catalogues vendus et rachetés sans considération pour leur contenu. Les enjeux commerciaux nous dépassent et on se fait facilement manipuler.

Nous en avons discuté au sein de Climage. Certains ont voulu tenter l’expérience avec kino.ch et ils en sont revenus. Les documentaires ne marchent pas bien en VOD. Il faut aussi savoir que les droits pour la diffusion en ligne, après déduction des parts des intermédiaires, ne rapportent presque rien: une vingtaine de francs l’an dernier pour nos films proposés sur kino.ch… Ce cadeau ne nous coûtera donc pas des milliers de francs!

Est-ce aussi une façon de contourner le problème du piratage?

Tous mes films ont été piratés sur internet. Autant les proposer dans une bonne qualité et avec des sous-titres. J’ai d’abord réagi en créant ma chaîne Youtube. Mais là encore, il y a de la pub et mes films deviennent des objets commerciaux. J’ai alors pensé à la SSR, qui nous apporte la caution du service public.

Dans la profession, certains penseront que vous créez ainsi un dangereux précédent.

Nous ne voulons pas inciter nos confrères à nous imiter ni jouer les donneurs de leçons. Ce choix est cohérent avec notre côté militant: nous tenons à donner une certaine résonance à nos films. Aujourd’hui, j’ai assisté à deux séances scolaires à Sion puis à Yverdon, et je présente ce soir une projection de L’Abri devant 200 fonctionnaires de l’Hospice général de Genève (institution chargée de mettre en œuvre la politique sociale du canton, ndlr).

La gratuité a ses vertus, et ses effets pervers…

J’en ai parlé à des amis français, qui ne comprennent pas du tout notre démarche. Ils m’ont dit: «Tu spolies tes droits, la culture a un prix!» Oui, mais les gens ont moins d’argent. S’ils ne peuvent plus y avoir accès, il faut libérer les droits. D’autant que ces films sont déjà passés par le circuit commercial. Il y a une forme de guérilla dans cette gratuité. C’est le meilleur moyen de les rendre accessibles au plus grand nombre.

Il s’agit au fond d’offrir une plus grande diffusion à vos films?

Oui, leur permettre de continuer à vivre, leur donner une seconde jeunesse. Après trois ou quatre ans, un documentaire finit au placard. La Forteresse a enregistré 50 000 entrées en salles, Vol spécial 30 000 et L’Abri 15 000, malgré un succès critique comparable. Je suis très attaché à la sortie en salle, mais ce n’est plus suffisant. Il faut désormais trouver d’autres façons de montrer notre travail.