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Le Courrier | Mali: Tensions au camp malien de Goudoubo

Cent cinquante mille personnes. C’est le nombre de réfugiés que la guerre dans le Nord du Mali, survenue il y a trois ans, a poussés sur les routes de l’exil. Quelque trente cinq mille ont trouvé refuge au Burkina Faso, dans un des trois camps mis sur pied par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Dans la province de l’Oudalan, le camp de Goudoubo accueille une dizaine de milliers de Maliens. «La vie est dure pour la grande majorité des réfugiés», nous confie, Nasser*, employé d’une ONG active dans le camp, qui a préféré garder l’anonymat. «Au début, dans l’urgence, les vivres étaient distribuées plus généreusement. Puis, le manque de fonds a entraîné une diminution de moitié des aides alimentaires.»

Article de Julien Repond, publié dans Le Courrier, le 20 janvier 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Des réfugiés ont toutefois su tirer leur épingle du jeu. «Certaines personnes se sont même enrichies», relève l’acteur humanitaire. Un commerce de fausses attestations, sur la base desquelles les vivres sont délivrés, a été mis en place. Des réfugiés allant jusqu’à payer des enfants burkinabès des alentours pour qu’ils viennent s’enregistrer comme membres de la famille, augmentant ainsi la quantité de nourriture perçues et permettant d’en revendre une partie. «Lorsque le HCR s’est rendu compte de la situation, il a décidé d’organiser un recensement annuel des réfugiés et exigé la présence physique de chacun lors de la remise des vivres. Cela limite la fraude. Mais étant donné le nombre de réfugiés, il est impossible d’instaurer des contrôles systématiques», explique-t-il.

Autre problème avec lequel il faut composer, celui des catégories sociales. Cinq ethnies ou castes sont présentes dans le camp. Les Touaregs, majoritaires, les Bellahs, leurs traditionnels esclaves, ou encore les Peuls, les Arabes et les Sonraïs. «Les Bellahs sont particulièrement discriminés», relève Nasser. Ces derniers sont souvent rattachés aux familles qu’ils servent et enregistrés comme membres de ces dernières. «Les Touaregs envoient leurs Bellahs pour récolter les vivres, ils ne se verraient pas s’aligner avec eux lors des distributions.» Lors du partage de la nourriture par le chef de famille, ces serviteurs sont pourtant prétérités.

La discrimination est également exercée par les chefs de blocs, personnes de contact des différents quartiers du camp. «Lorsque des activités sont organisées, telles que des programmes d’alphabétisation, ils sont priés de soumettre des listes de participants et en écartent les Bellahs.»

Les ONG et le HCR, conscients de ce phénomène s’efforcent de traiter chaque réfugié sur un même pied d’égalité. Et tentent de compenser quelque peu cette situation dans leurs programmes, donnant parfois la priorité aux Bellahs. «Cette situation d’inégalité est antérieure à la guerre et perdurera après le retour des réfugiés», relève Nasser.

Un autre point de friction provient de l’aide donnée par l’ONG Vétérinaires sans frontières aux Maliens pour leur bétail. «Le statut de réfugié donne le droit à une assistance spéciale, que l’on possède 5 ou 1500 têtes. Leurs bêtes sont mieux traitées que celles des populations autochtones», avoue-t-il. Alors qu’un Burkinabè paie 1000 francs CFA (2 francs) par tête pour les vaccins et le déparasitant, les réfugiés y ont accès gratuitement. Au pire de la période de soudure, ces derniers reçoivent également des aides en fourrage plus généralisées que celles délivrées aux locaux. «Un sentiment d’injustice est présent chez les Burkinabè. On peut le comprendre. La médiatisation du conflit malien a permis d’obtenir des financements plus importants pour les réfugiés que pour eux», explique Nasser.

Le 9 janvier dernier, un accord a été signé par le Burkina, le Mali et le HCR. Ce dernier offre un cadre juridique pour les retours volontaires au Mali. «Une aide financière de 35’000 francs CFA (70 francs) est déjà distribuée aux personnes choisissant de retourner au pays», note Nasser.

Interrogé sur un possible retour, Ibrahim*, un réfugié malien, tient à remercier la population hôte pour son accueil. «Nous aimerions beaucoup retourner chez nous, mais les règlements de comptes entre différents mouvements et ethnies font rage, et autant la sécurité des biens que la possibilité de commercer ne sont pas assurées», explique-t-il. Selon les chiffres du HCR, seuls 4500 réfugiés maliens au Burkina ont pris la route du retour depuis novembre 2013. Le rapatriement total promet d’être long.

*Noms d’emprunt.