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Notre regard

ELISA | Populariser la dignité humaine

L’un s’est mis en retraite cet été, l’autre a pris la relève et rejoint les rangs d’Elisa-Asile à Genève, une association de soutien juridique pour les demandeurs d’asile. Discussions croisées avec Michel Ottet, son fondateur, et Léonard Micheli, nouveau permanent.

A 75 ans, Michel Ottet a quitté son poste de permanent de l’association qu’il a créée en 1986. Il y restera engagé comme bénévole.

S’il a fait carrière dans l’ingénierie mécanique et horlogère, c’est son ancrage dans la communauté catholique qui l’a poussé à lancer une permanence juridique à l’époque des premiers durcissements législatifs. Mandataire, puis coordinateur, il a participé à six référendums successifs. «Il créait Elisa quand je venais au monde!» rappelle Léonard Micheli qui est arrivé à Elisa en juillet dernier. Après des études de droit, un stage à l’association Trial et plusieurs années d’engagement à la Ligue suisse des droits de l’homme, il a repris le mandat de Michel Ottet à Elisa-Ville et à l’aéroport. «Michel a vu l’injustice et il a travaillé autour: il s’est formé comme juriste pour pallier à ces problèmes. Mon parcours est différent: je suis engagé en tant que juriste. J’ai les connaissances juridiques, mais les capacités d’action hors droit, c’est un domaine que je maîtrise bien moins que lui.»

Des trajectoires différentes pour une seule conviction: «Elisa me permet de faire quelque chose de juste, en accord avec mes idéaux. En venant ici, je cherchais à travailler sur l’injustice et pas seulement sur le droit», raconte Léonard Micheli, pour qui «le droit d’asile actuel est une pierre de l’édifice de l’injustice». Même regard pour Michel Ottet: « L’évolution de l’asile, c’est l’abolition de la justice et l’abolition de la charité. C’est le repli sur soi, et la perte de valeurs morales. Avec pour conséquences les nouvelles mesures légales, le durcissement de la jurisprudence ou les manières d’appliquer les lois. Une évolution inexorable tant qu’on ne reconnaitra pas que le bien suprême qu’il faut protéger, c’est l’humain…»

La restructuration de l’asile en cours? «Mon regard est encore sûrement trop jeune!» avertit Léonard Micheli. En prenant à témoin son expérience à l’aéroport, où il suit les personnes dès le début de la procédure, il voit l’accompagnement juridique d’un bon œil: «Avoir toutes les parties présentes lors des auditions permet de calmer et rassurer les personnes», souligne-t-il. Toutefois, il craint que celui-ci ne soit pas aussi poussé que dans le centre test de Zurich, «une vitrine». Il insiste aussi sur la question de l’indépendance des mandataires et espère que ce seront des œuvres d’entraide qui assureront le suivi: «En venant du monde du droit, j’ai vu que, dans certains cabinets d’avocat, ils n’ont pas forcément les convictions leur permettant de faire fi de la non-rentabilité des cas et c’est souvent les stagiaires qui sont envoyés pour ce type de tâches».

Michel Ottet, lui, émet deux inquiétudes: «La première, c’est la rapidité: il ne faut pas faire de l’abattage. On est dans un droit de vie ou de mort. Je connais peu d’endroit du droit administratif où cette latitude est laissée aux fonctionnaires! Deuxième inconnue: le transfert des compétences cantonales aux autorités fédérales pour l’hébergement et l’encadrement de 60% des demandeurs d’asile. Il y a un hiatus et on ne sait pas très bien ce qui va se passer». Cette inquiétude est particulièrement forte pour Genève, que les autorités veulent transformer en «hub» de détention et d’expulsion. Pour Léonard Micheli, le travail d’Elisa en sera forcément réorganisé: les permanences des Tattes et en ville, accompagnant les demandeurs d’asile au tout début de leur procédure, seront inévitablement touchées. Concernant l’aéroport, cela ne devrait logiquement pas beaucoup changer. En revanche, de nouvelles problématiques risquent de survenir, liées à la détention administrative». (voir l’article « Restructuration de l’asile: la charrue avant les bœufs« ).

Michel Ottet évoque, lui, la transformation de la relation entre société civile et autorités: «Je me rappelle qu’au début, il y avait une espèce d’osmose entre les mouvements syndicalistes, politiques, sociaux, les églises et les défenseurs du droit d’asile. Aujourd’hui, la contestation s’est spécialisée autour de la défense du droit d’asile: il manque quelque chose pour en faire un véritable mouvement d’opinion. Je ne dis pas qu’il faut arrêter de faire du soutien juridique, mais qu’il faut le populariser et l’étayer avec une pensée derrière. Une pensée altruiste qui dit: peut- être qu’on va vers des difficultés, mais la véritable difficulté, c’est de ne plus respecter l’être humain.»

Raphaël Rey

Elisa est une association genevoise de conseil et de soutien juridiques pour les demandeurs d’asile. Elle est présente au foyer des Tattes, dans la zone de transit de l’aéroport de Genève et à la rue Liotard (Elisa-Ville), où la permanence est principalement destinée aux nouveaux arrivants et aux personnes n’ayant pas encore reçu de décision d’asile. Elisa compte trois permanents rémunérés et travaille avec de nombreux mandataires bénévoles.