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Notre regard

Témoignage | Quand j’avais dix ans les enjeux me dépassaient…

Élève en dernière année au Collège pour adulte, Samuel Naib, 25 ans, devait produire, dans le cadre d’un cours interdisciplinaire géographie-arts plastiques, un petit texte introspectif sur la part de migrant existant en chacun de nous. Une préparation au spectacle con t(r)atto, auquel la classe devait se rendre. Ci-dessous son texte, qu’il a demandé à Cristina Del Biaggio, une des auteurs du spectacle, de lire à haute voix.

C’est à l’âge de dix ans que je me suis posé la question de mon identité pour la première fois. Lorsque la guerre a débuté entre l’Éthiopie et l’Érythrée, étant né de parents érythréens, on m’a obligé de quitter l’Éthiopie, pays où je suis né et j’ai grandi. Après un voyage passant par le Soudan et l’Italie, je suis arrivé en Suisse, où j’ai été accueilli par mon oncle.

A cet âge-là, les enjeux me dépassaient, et je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait dans ma vie. J’étais séparé de mes parents et je me trouvais dans un pays dont je ne connais- sais même pas l’existence quelques semaines auparavant. Ce fut, si je peux m’exprimer ainsi, le premier choc de ma construction identitaire. En effet, les premières dix années passées en Éthiopie m’avaient permis de m’imprégner de la culture locale, notamment la langue, les traditions, etc. De plus, j’étais scolarisé, j’avais plein d’amis, une famille; en bref, je me sentais en sécurité chez moi. Mais la rupture fut brutale. En quelques jours, on m’a fait comprendre que je n’étais plus le bienvenu.

Malgré ce choc, l’adolescence, certainement le moment le plus important dans la construction identitaire, je l’ai vécue en Suisse ce qui m’a rendu perméable aux valeurs et à la culture occidentale. En effet, tout au long de mon adolescence, bien que sachant avoir une histoire différente des autres jeunes de mon âge, je m’efforçais d’effacer mes différences pour mieux me fondre dans la masse et oublier ce déchirement.

Selon beaucoup de psychanalystes, les adolescents ont besoin d’appartenir à un groupe pour s’affranchir de la famille et se construire une identité propre. Dans mon cas, étant séparé de ma famille biologique, j’ai l’impression que j’ai eu le besoin d’exagérer ce besoin d’appartenance. J’avais enfin retrouvé une famille dans laquelle j’étais un membre à part entière, mais ce sentiment éphémère ne dura pas longtemps. Arrivé à l’âge adulte, chacun suit son chemin de vie et, peu à peu, s’éloigne de ses amis; on remarque qu’on change, qu’on n’est pas pareil. En quelque sorte, les différences ou les particularités qu’on essayait de masquer ressurgissent. A 18 ans, je n’avais toujours pas de papiers qui me permettaient de travailler ou de voyager et ayant quitté le foyer de mon oncle, je me suis retrouvé dans un foyer pour réfugiés avec des personnes qui venaient pour la plupart d’arriver de leur pays d’origine. Ce fut là le deuxième choc, certes moins important que le premier, mais il eut quand même un rôle considérable dans ma construction identitaire. Tout à coup, je n’étais plus un jeune comme les autres, et je me rendais compte de la réelle signification d’être un demandeur d’asile.

C’est pourquoi aujourd’hui j’ai l’impression que mon identité se construit en tripartie: elle est le résultat de l’interaction entre mon aspect physique (homme de type africain), mon parcours de vie (Afrique-Europe) et la place que j’occupe dans la société en Suisse. Je pense que d’une part mon métissage culturel est une richesse qui m’apporte une ouverture d’esprit. Mais soulignons que cette richesse a un prix, car j’ai l’impression parfois d’être enfermé à double-tour dans ces deux cultures et de n’en faire réellement partie d’aucune.

Samuel Naib