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Documentation

TAF | Jurisprudence sur la désertion

Interprétation de l’art. 3 al. 3 LAsi (portée du refus de servir et de la désertion en droit d’asile); risque encouru du fait de se soustraire à l’obligation de servir dans l’armée syrienne régulière.

Dans son arrêt, le Tribunal administratif fédéral (TAF) interprète le nouvel art. 3 al. 3 LAsi et en arrive à la conclusion, déjà admise, que la menace d’une condamnation pour refus de servir ou désertion ne doit pas être qualifiée de risque de persécution pertinent en matière d’asile, si la peine encourue vise uniquement à réprimer ce comportement. Dans ce contexte, la sanction n’est prise en compte, pour juger de la qualité de réfugié, que si elle repose sur d’autres motifs pertinents.

En l’espèce, et au vu des circonstances, le Tribunal a tenu pour hautement probable que le gouvernement syrien considère le refus de servir du recourant comme l’expression de convictions hostiles au régime et condamne de ce fait l’intéressé à une peine exagérément sévère en tant qu’opposant politique, et ce d’autant plus que celui-ci a déjà, par le passé, été tenu pour opposant au régime en place.

Arrêt du 18 février 2015 dans la cause D-5553/2013. Pour télécharger l’arrêt sur le site du Tribunal administratif cantonal, cliquez ici.

L’article 3 alinéa 3 de la loi sur l’asile constitue une norme nouvelle introduite avec les modifications urgentes de la loi du 28 septembre 2012 (entrées en vigueur le 29 septembre 2012, et acceptées en votation populaire le 9 juin 2013). Cette disposition dénie la qualité de réfugié aux personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être, réserve étant toutefois faite du respect de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Or, a priori, la portée juridique de l’art. 3 al. 3 LAsi ne ressort pas clairement de son libellé. Le TAF a dès lors été amené à interpréter plus précisément cette disposition.

La situation juridique actuelle, relative à la qualification en droit d’asile du refus de servir et de la désertion, a été notamment définie dans une décision de l’ancienne Commission suisse de recours en matière d’asile, qui se référait à la situation spécifique de l’Erythrée (Jurisprudence et informations de la Commission suisse de recours en matière d’asile [JICRA], 2006 n° 3). Selon cette décision, les sanctions étatiques prévues pour violation de l’obligation de servir sont en principe légitimes et ne sont donc pas, en soi, pertinentes du point du droit des réfugiés. Ce principe souffre néanmoins une exception lorsque les peines en cause se révèlent hautement discriminatoires pour les motifs prévus à l’art. 3 LAsi, ou sont à ce point disproportionnées qu’il convient de conclure à un motif de persécution déterminant en matière d’asile.

L’introduction de l’art. 3 al. 3 LAsi avait pour but politique de limiter le nombre jugé trop élevé de requérants d’asile érythréens qui faisaient valoir comme motif de fuite le refus de servir ou la désertion. En tenant compte du message du Conseil fédéral, des débats parlementaires, de la brochure explicative destinée aux citoyens, l’interprétation de cette norme (en particulier au plan historique, de manière à dégager la volonté initiale du législateur) met en évidence que la réalisation de cet objectif n’implique pas une nouvelle interprétation de la notion de réfugié. En faisant sienne la proposition du Conseil fédéral, le législateur visait davantage à clarifier dans la loi une interprétation juridique déjà en vigueur. A contrario, la modification de la loi n’avait pas pour but d’introduire une restriction de la notion de réfugié par rapport au sens donné jusque-là par l’art. 3 LAsi.

Il résulte ainsi que l’introduction de l’art. 3 al. 3 LAsi n’a rien changé au fait que le refus de servir ou la désertion ne peuvent en soi fonder la qualité de réfugié, sauf et seulement si la situation d’espèce fait apparaître une persécution au sens de l’art. 3 al. 1 LAsi. En d’autres termes, la personne concernée se verra reconnaître la qualité de réfugié si elle doit craindre, en vertu des motifs prévus à l’art. 3 al. 1 LAsi (race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social déterminé ou opinions politiques), de subir une persécution parce qu’elle a refusé de servir ou a déserté.

En l’espèce, il s’agissait d’examiner dans quelle mesure le fait de se soustraire à l’obligation de servir dans l’armée syrienne régulière était pertinent en matière d’asile compte tenu de la situation actuelle dans cet Etat.

Depuis le début de la guerre, en 2011, les personnes qui se soustraient à l’obligation de servir dans l’armée syrienne régulière sont non seulement incarcérées en grand nombre, mais aussi exposées aux tortures et aux exécutions sommaires. Dans le cas examiné, le requérant avait déjà été, par le passé, tenu pour opposant au régime en place. Au vu de ces circonstances personnelles et des pratiques notoires du régime syrien, le TAF en est arrivé à la conclusion qu’il est hautement probable que les autorités syriennes considèrent le refus de servir du recourant comme l’expression d’une hostilité à leur égard. Il convient dès lors de partir du principe que la peine risquée par le recourant en Syrie ne servirait pas, en soi, à réprimer de manière légitime et conforme à l’Etat de droit et au droit international le refus du service militaire. Au contraire, il faut bien plutôt craindre que l’intéressé soit tenu pour un opposant politique parce qu’il refuse de servir et, comme tel, condamné à une peine disproportionnée et exposé à des traitements contraires aux droits de l’Homme. Dans une telle hypothèse, on se trouverait en présence d’une persécution déterminante au sens de l’art. 3 LAsi.

Il y avait également lieu d’examiner dans quelle mesure le requérant était menacé de persécution sur tout le territoire syrien ou s’il pouvait trouver refuge dans sa région d’origine et se protéger ainsi de l’intervention des autorités syriennes (possibilité dite de refuge interne). Cette question s’est posée compte tenu de l’appartenance du recourant à l’ethnie kurde et de sa région d’origine qui se situe au nord de la Syrie; ce territoire est actuellement en grande partie sous le contrôle du parti kurde syrien PYD et de son organisation armée l’YPG. Les conditions permettant d’admettre l’existence d’une telle protection subsidiaire doivent être jugées selon des critères très stricts. Seule une autorité de fait, stable et organisée, qui contrôlerait sans restriction le territoire concerné, est à même d’offrir une protection adéquate. Vu l’instabilité qui règne aujourd’hui dans cette région, le TAF ne reconnaît pas l’existence d’une telle possibilité. En conséquence, le recourant ne dispose d’aucune possibilité de refuge interne dans sa région d’origine, au nord de la Syrie.

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